« Les humains ne sont pas des pions »

Le contrôle de la démographie par l’État est une idée qui passe mal chez les Verts, mais aussi chez certains scientifiques, comme Hervé Le Bras.

Patrick Piro  • 11 juin 2009 abonné·es

Yves Cochet évoque la « surprise » de certains écologistes à sa proposition de limiter la natalité. De fait, le parti a été cueilli à froid, et, selon Martine Billard, « les réactions ont été très vives » , avec des clivages ne recoupant pas nécessairement les courants. « Il n’est pas choquant de parler de démographie, mais ­l’angle d’attaque me paraît absurde, critique la députée Verte. L’objectif écologique est de réduire la consommation mondiale, pas la population, dont la limitation n’est pas un but en soi. Et s’il y a un problème démographique à régler, c’est au Sud et pas au Nord, où la limitation des naissances n’agirait pas par phénomène de vase communicant. Ainsi, le déclin de la population russe n’a guère d’impact sur l’ensemble du problème. Les humains ne sont pas des pions que l’on déplace à sa guise. On connaît bien le levier pour agir sur la natalité : c’est l’éducation des femmes. Plus elles seront formées, au Sud, et moins elles auront d’enfants. »
Les femmes, justement : « On les vise en stigmatisant le ”3e ventre”. Seraient-elles les responsables ? » Arlette Zilberg regrette pour sa part qu’Yves Cochet se soit isolé en lançant cette petite bombe sans avoir travaillé en amont « avec les partenaires concernés » , et notamment la commission féminisme des Verts, dont elle est responsable.

Hervé Le Bras, spécialiste des liens entre démographie et politique à l’Institut national des études démographiques (Ined), est très hostile à l’intervention de l’État dans le domaine de la natalité : « C’est du ressort de la liberté des couples. Bien qu’en opposition, Yves Cochet joue sur un registre identique aux politiques publiques menées depuis plus d’un siècle : l’obsession du 3e enfant. Par ailleurs, je n’adhère pas à sa vision catastrophiste : la plupart des problèmes que nous avons à résoudre ne sont pas du ressort de la physique mais de mesures sociales et politiques. »
Le démographe approuve cependant le député sur un point : le système des allocations favorise la natalité (les versements font un bond à partir du 3e enfant), sans justification évidente. « Il est par ailleurs très inégalitaire, puisque les allocations pas plus que l’attribution de parts fiscales ne sont indexées sur le revenu des familles. Supprimer les aides à partir du 3e enfant aurait pour effet de défavoriser les familles nombreuses, majoritairement issues des classes modestes ou d’origine immigrée. »

Yves Cochet se défend de vouloir accentuer les disparités sociales. « Il s’agirait de moduler le montant des allocations en fonction du revenu réel. Elles deviendraient presque nulles pour les familles riches. Et moins importantes pour les plus modestes – il s’agit quand même d’annuler l’effet incitatif actuel. »
Quelques Verts en accord avec lui ont rédigé une motion modérée demandant « que toutes les mesures discriminatoires en faveur des familles nombreuses soient abrogées, et que toutes les aides aux familles soient rendues proportionnelles au nombre de leurs enfants (fiscalité, allocations, primes…) » . Elle n’a finalement pas été proposée au vote du Conseil national du parti (Cnir). « Soutenus par une trentaine de signatures seulement, nous risquions le règlement de comptes envers Cochet, estime Hugues Stoeckel. Il s’agit pourtant de propositions minimalistes. La limitation du nombre d’humains est taboue chez les Verts… »

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