L’homme qui voulait taxer la layette et les couches

Au début des années 1970, un ouvrage de Paul Ehrlich comparant la croissance démographique à un « cancer de la Terre » provoquait une polémique au sein de la mouvance environnementaliste.

Claude-Marie Vadrot  • 11 juin 2009 abonné·es

Dans son livre la Bombe P , paru en 1968 aux États-Unis et en 1971 en France, juste avant la première conférence mondiale des Nations unies sur l’environnement à Stockholm en 1972, l’Américain Paul Ehrlich prônait la régulation des populations : « Une méthode consisterait à prendre le contre-pied des systèmes légaux en vigueur qui encouragent la natalité et à les remplacer par une série de récompenses et de pénalisations financières destinées à décourager la natalité. Pour couronner cette réforme fiscale, il faudrait taxer comme des objets de luxe les layettes, les berceaux et les couches.  […] Un bureau de la population et de l’environnement devrait être créé pour apprécier le niveau optimal et préconiser les mesures permettant d’y arriver. Ce BPE devrait coordonner politique démographique, protection de l’environnement et gestion des ressources  […]. Lorsque des cellules vivantes prolifèrent sans contrôle, il y a cancer  […] *. Nous devons reconvertir nos efforts et tenter l’ablation du cancer. Cette opération demandera de nombreuses décisions qui sembleront brutales et sans pitié. La douleur pourra être intense, mais la maladie a fait de tels progrès que seule la chirurgie la plus énergique pourra désormais sauver le malade. »*

À la Conférence de Stockholm, l’annonce de la participation de Paul Ehrlich à une table ronde du Forum des associations fit tant scandale que les environnementalistes qui l’avaient invité furent immédiatement débarqués, accusés d’être les porte-parole « de ceux qui oppriment les pauvres et les habitants du tiers monde » . Et l’ancien président de la FAO, le Brésilien Josué de Castro, alors exilé politique, protesta une fois de plus contre « ceux qui veulent résoudre le problème de l’épuisement des ressources en accusant les plus démunis » . La polémique, souvent très dure, se poursuivit pendant les quinze jours de la Conférence alors que le sujet restait tabou à la tribune de l’ONU. Les militants du contrôle démographique finirent par battre en retraite, et un texte final souligna qu’il s’agissait là « d’un mouvement stigmatisant aussi bien les couches les plus défavorisés des pays industrialisés que les habitants du tiers monde » .
À cette époque, dans un discours resté fameux, le ministre Michel Debré appela à « une France de 100 millions d’habitants » tout en organisant un strict contrôle des naissances à la Réunion, où il était député…
La question de la démographie continua d’agiter la mouvance écologiste, et lorsqu’il fut choisi comme candidat à la présidence, en 1974, René Dumont reconnut que ses discours des années 1960 sur le risque démographique, qui l’avaient vigoureusement opposé à Josué de Castro, étaient erronés. Mais, depuis les écrits du Club de Rome ( Halte à la croissance ), la tentation est d’autant plus restée qu’au début des années 1970 les « spécialistes » annonçaient entre 7 et 8 milliards d’habitants pour l’an 2000.
L’idée est-elle définitivement enterrée ? En 2006, sur un site décroissant, on pouvait lire la phrase suivante : « L’évolution démographique de l’espèce humaine reste bien le cancer de la Terre »

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