L’honneur est sauf

Sébastien Fontenelle  • 11 juin 2009 abonné·es

Le 4 mai 2009, dans le district de Bala Buluk (province de Farah), en Afghanistan, des aéronefs de l’ United States Air Force ©, arme d’élite dont le nom est partout dans le monde (mais plus spécialement dans le Sud-Est asiatique) synonyme d’émancipation des indigénats opprimés et de libéralisation des mœurs, se portent au (prompt) secours de la population locale, dont le frêle dos ploie sous le joug talibanique. L’opération est un franc succès, à l’américaine (comme on dit à Cannes-Mandelieu), puisque, d’après le commandement états-unien de la (si) bien-nommée Force internationale d’assistance et de sécurité en Afghanistan (FIAS), « 25 talibans » sont abattus au cours de ces « combats » qui se déroulent, pour ce qu’on en sait, de la façon suivante : les (gros) appareils de la United States Air Force © lâchent des (grosses) bombes sur des (petits) personnages indistincts, qui explosent dans un vif déploiement de chaleur, et de lumière.

Et, certes, ces mêmes combats font aussi, d’après une estimation de la Commission afghane indépendante des droits de l’homme (AIHRC), qui n’est pas exactement un repaire de fondamentalistes hallucinés, 97 mort(e)s dans la population civile – mais l’assistance et la sécurité ne sont pas (non plus) un dîner de gala, puis, n’est-ce pas : on réussit rarement une omelette baveuse sans casser quelques douzaines d’œufs. Au reste, Robert Gates, secrétaire yankee à la Défense, manifestement décidé à ne pas se laisser dominer par la sensiblerie, tempère vite l’affliction des rares survivants(e)s : de son point de vue, l’atroce tuerie pourrait bien être, plutôt qu’une bavure de l’ United States Air Force © (dont les pilotes ne sont pas du genre à ne pas maîtriser leur monture), une « manipulation de talibans » , qui auraient « lancé des grenades dans les maisons pour faire des victimes civiles et en rejeter la faute sur les Américains » – un peu (beaucoup) comme font, à Gaza, leurs (proches) cousins (et frères en sournoiserie) du Hamas. (Car le musulman duplice fait montre, de Beit Hanoun à la passe de Khyber, d’une seule et même (inconcevable) sauvagerie.)

Un général états-unien le confirme d’ailleurs sans trop se faire prier : les rebelles afghans se sont fait « des boucliers humains » de la population civile. (Dira-t-on jamais la fourberie du Scapin de Bala Buluk ?)
Las. Un mois plus tard, le 8 juin 2009, une enquête de l’armée américaine conclut que finalement, vérifications faites, les responsables du massacre du 4 mai sont moins uniment indigènes que l’armée américaine ne l’avait d’abord supposé sur la seule foi de ses impératifs propagandaires, puisqu’il y a eu « des problèmes avec la tactique, la méthode et la procédure » dans « la façon dont » le « soutien aérien rapproché » a été mené ce jour-là par l’ United States Air Force ©.
Pour le dire autrement : les pilotes de l’oncle Sam ont (très) salement merdé – comme à chaque fois qu’ils font du hachis de victimes collatérales.
Grâce à Dieu : l’US Army juge (et jure) n’avoir finalement déchiqueté, ce jour-là, que « 20 à 30 civils » , au lieu des 97 qu’annonçait abusivement l’AIHRC, et qui auraient, c’est vrai, fait un peu tache dans la mission d’assistance et de sécurisation de la FIAS. Tandis que là, avec ce score très honorable de grosso modo 30 civils ? L’honneur est sauf. Allez, tous en chœur : « Refresh Thy people on their toilsome way. Lead us from night to never ending day »

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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