Méchamment drôle

« Talking Heads » :
trois minicomédies
d’Alan Bennett sur les abîmes de la bêtise.
Un délice d’humour anglais.

Gilles Costaz  • 25 juin 2009 abonné·es

Pierre Lescure est passé de la direction de Canal + à celle d’un théâtre privé parisien. Diriger ce genre de paquebot flottant sur les goûts variables du public et une situation financière tout aussi instable, c’est quelque chose comme la capitainerie du Titanic . Pour la fin de saison de la petite salle, il est allé chercher un spectacle du théâtre public, Talking Heads , d’Alan Bennett, produit par le Théâtre national de Toulouse et donné récemment au Rond-Point à Paris. Pas sûr que ça marche : il n’y a pas un nom d’acteur connu à l’affiche. Mais le choix est bon puisque, orchestrée par Laurent Pelly avec la complicité de sa dramaturge Agathe Mélinand, traduite par Jean-Marie Besset, la pièce est un bijou d’humour anglais.
En fait, il s’agit de trois courtes pièces, prises dans un recueil de comédies où il n’y a qu’à se servir, car Bennett a composé une série de monologues pour actrices seules. Pelly a choisi un programme qui va du plus noir au plus pervers. Premier acte : une femme foncièrement optimiste apprend qu’elle est malade ; elle trouve tout merveilleux, jusqu’à l’hôpital où elle va mourir. Deuxième acte : une autre femme s’intéresse gentiment à sa voisine alors que celle-ci est en train de tuer son mari. Troisième acte : une dernière héroïne fréquente avec innocence une aide-soignante cupide et un pédicure obsédé sexuel.

L’humour de Bennett vient de ce que les personnages ne voient rien venir et que le spectateur voit, lui, la vérité apparaître mais finement, lentement, à petites touches. Les gouttes d’acide tombent toutes les minutes à l’intérieur d’un monde petit-bourgeois aseptisé par sa naïveté. Les trois comédiennes, Christine Brücher, Nathalie Krebs et Charlotte Clamens, ont chacune une façon délicate et différente d’incarner la candeur. La mise en scène de Laurent Pelly ne rend pas leur jeu facile – mais elles s’y intègrent sans gêne apparente – avec un astucieux dispositif qui, dans un esprit cinématographique, change sans cesse les cadrages. Les scènes ont lieu à gauche, à droite, en haut, en bas, en fonction de caches et de déplacements de l’aire de jeu. Le décor mouvant de Chantal Thomas peut aller jusqu’à placer l’une des actrices dans une position acrobatique qui crée une impression d’image en contre-plongée. Cela donne un vertige de plus à ces très drôles variations sur les abîmes de la bêtise.

Culture
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