On a ga-gné !

Bernard Langlois  • 11 juin 2009 abonné·es

Record

Le premier chiffre à prendre en compte est évidemment celui des abstentions : il bat tous les records, en France (60 %) comme, en moyenne, dans l’ensemble de l’Europe (57 %), avec des pointes à plus de 70 %, comme en Slovénie, ou même 80 % (Slovaquie) ! Il est des États qui font remonter la moyenne, comme la Belgique, avec ses 90 % de votants : mais le vote y est obligatoire… Le premier parti de l’Union européenne est donc, de très loin, celui des abstentionnistes. On a ga-gné !
Mais ne croyez pas que je me réjouisse de cette « victoire » !
J’ai expliqué, dans une livraison précédente de ce bloc-notes, pourquoi je comptais m’abstenir, pour la première fois de ma vie (il m’était arrivé de voter blanc, jamais de bouder les urnes). J’ai choisi cette fois le refus de vote, position distincte de l’abstention par désintérêt, on voudra bien m’en croire. Décision non partagée par une majorité de mes collègues de Politis  [^2] et, semble-t-il, mal reçue par un certain nombre de lecteurs – si j’en crois les messages laissés en pied de la version électronique dudit bloc-notes [^3]. L’argument tactique invoqué étant que mon abstention contribuerait mécaniquement à faire apparaître un score plus élevé pour le parti présidentiel ; et encore
– sur le plan des principes – qu’on n’avait pas le droit de mépriser un droit que tant de gens par le monde nous envient et pour l’obtention duquel « nos anciens » avaient durement bataillé.
Je comprends, sans les faire miennes, ces réticences.

Piège à…

Pour répondre au second argument, celui des principes, je le jugerais bien plus fort si, par le passé, et à tant de reprises, les résultats des urnes n’avaient aussi souvent été bafoués par ceux que nos votes avaient désignés.
Pour s’en tenir aux affaires européennes, combien de fois nous a-t-on promis-juré, croix de bois croix de fer, si je meurs…, que nous allions enfin aborder aux rivages riants de l’Europe sociale ? Que les « fondations » étant désormais solidement plantées, les « murs » dressés, on allait pouvoir poser le « toit » protecteur (d’autant plus aisément qu’une majorité de gouvernements européens étaient de gauche, à l’époque, et qu’on allait donc voir ce qu’on allait voir) ? Et que dire de ce référendum refusé par le peuple et refourgué aussitôt par des élus sans vergogne ? Alors, le caractère « sacré » du vote, voyez… C’est un argument auquel j’ai longtemps été sensible, que j’ai même dû employer à l’occasion ; désormais, je vous le laisse. Comme dit mon camarade Fontenelle [^4] : « Avoir Fait Admettre Au Peuple, Au Travailleur, Qu’Électeur Il Est Maître De Ses Destinées Est Peut-Être La Plus Grande Victoire Remportée Par La Bourgeoisie Sur La Classe Ouvrière » (oui, il est comme ça, une manie : il fourre des majuscules partout).
Dit plus simplement : « Élections, piège à cons ! »

Douce violence

Quant à l’argument tactique – vous faites le jeu de bla-bla-bla –, je le tiens pour dérisoire, du moins pour cette élection qui nous occupe aujourd’hui (en d’autres occasions, faut voir ! Au coup par coup…).

Que le président Vroum-Vroum expédie quelques députés à sa botte de plus ou de moins dans ce Parlement croupion dont les maîtres de l’Europe se soucient comme d’une guigne, et qui – aurait-il de vrais pouvoirs – est de toute façon verrouillé par les libéraux de droite et de gauche copains comme cochons (j’ai toujours en mémoire cette image confondante d’une Élisabeth Guigou faisant estrade commune avec Valéry Giscard d’Estaing pour nous persuader de dire « oui » à Maastricht…) ; qu’on ait, pour siéger à Strasbourg (ou juste pour y pointer !), quelques bayrouistes, quelques solfériniens de plus ou de moins, vains dieux ! quelle importance ? « M’enfin, dites-vous  (je vous entends d’ici…) *, et le Front de gauche, et le NPA ? C’est-y-pas des braves à trois poils ? Des vrais costauds de gauche, comme vous les aimez ? Ne méritaient-ils point votre suffrage ? »* J’ai déjà dit
– je persiste – que se serait présentée une « gauche de gauche » reconduisant la coalition gagnante de 2005 (le « non » au TCE), je me serais fait une douce violence : les divers boutiquiers n’ayant pas été fichus de s’unir – et la responsabilité est partagée, si j’ai bien compris –, pas question pour moi de donner quitus à l’un plutôt qu’à l’autre.
Unis, on jouait d’un coup dans la cour des grands. À cause d’eux, on reste en maternelle.

Fesses rouges

Vous ne désarmez pas, hein ! Vous me dites aussi (on est toujours au niveau tactique) : « À cause de vous, les abstentionnistes, les médias vont clamer partout que l’UMP a remporté une grande victoire, c’est malin ! »
Exact, ils clament. Mais ce n’est pas parce qu’ils clament des âneries que je me vois contraint de braire en leur compagnie (et vous n’y êtes pas obligés non plus). Le parti sarkozyen est, faut-il le rappeler, composé de tous les morceaux de droite existants (excepté, pour cette élection, des souverainistes de Dupont-Aignan et autre Villiers, c’est-à-dire pas grand-chose) : ex-RPR + UDF + rad-soc ex-valoisiens + je ne sais encore quoi, et même ex-PS allés à la soupe, tout ça sous la bannière UMP. Et cette droite unie, qui constitue à elle seule la majorité parlementaire, l’a emporté avec 28 % des suffrages exprimés, pas même 30, 28 ! Ce qui lui fait, tout mouillé, environ 11 % des inscrits. Sacrée victoire ! Le parti du Président, qui cumule tous les pouvoirs et rassemble toutes les droites, n’a déplacé en sa faveur guère plus que 10 % du corps électoral ! Ça vaut bien d’en être ébaubis ! Et le calcul vaut pour les autres « vainqueurs », les écolos, qui, en mode « exprimés » et nombre de sièges, font une vraie percée, mais ne « pèsent » guère plus de 6 en pourcentage d’inscrits (les écolos : parlons-en un peu, c’est la seule vraie surprise du vote de dimanche : le mariage réussi de carpes et de lapins
– mais de belles carpes et de malins lapins ! Belle campagne aussi, derrière la loco du Rouquin – qui a réussi à faire péter les plombs du Béarnais. Mais ce n’est pas la première fois que les écologistes font un beau score à des élections « secondaires » et se vautrent dans les deux ans qui suivent ; quant à cette coalition-là, celle d’aujourd’hui, par-delà le « non » et le « oui » à l’Europe des marchés, quelle durée de vie ? Et qui peut jurer que demain Sarko ne viendra pas y faire le sien, de marché ?), ce qui n’est tout de même pas Byzance ! Enfin, pour être équitable, les succès relatifs des uns relativisent aussi (et selon les mêmes modes de calcul) les échecs des autres. Ainsi le PS [^5], comme le MoDem, ont-ils été fessés, c’est indéniable ; ça ne veut pas dire qu’ils garderont forcément longtemps les fesses rouges. La politique, ça va ça vient.

Derechef, s’il est une leçon à tirer de ces élections européennes, c’est le mépris profond (ou le désintérêt, ou le rejet) en lequel les peuples (français comme européen) les ont tenues. Personne ne peut crier : « On a ga-gné ! » quand tant de citoyens en âge de voter se tiennent à l’écart des bureaux de vote. Et même nous autres abstentionnistes n’avons aucune raison de nous réjouir : figurez-vous qu’on aimerait mieux vivre dans une vraie démocratie où le vote (avec son droit attenant) aurait vraiment du sens.

Mais il est des élections plus porteuses de sens que d’autres. Par exemple, on peut penser, à l’examen de ses premiers mois d’exercice du pouvoir, qu’on n’a pas trop à regretter que les Américains aient élu Barack Obama.
Il en est une prochaine (élection) qui revêt une certaine importance : celle qui, trente ans après la Révolution, va doter l’Iran d’un nouveau président de la République – ou reconduire l’actuel, le peu sympathique Ahmadinejad. Le challenger le plus sérieux du sortant est un ancien ministre, Moussavi, qui a le soutien des réformateurs. Face à un Obama qui tend la main, Moussavi serait peut-être l’homme qui accepte de la saisir – et dans cette région toujours au bord de la tragédie, ce serait une fort bonne nouvelle. Si j’étais iranien, je ne m’abstiendrais pas !
Un livre d’une démographe, chargée de recherches au CNRS, vient de sortir, Iran, un monde de paradoxes [[Iran, un monde de paradoxes, Marie Ladier-Fouladi,
Comme un accordéon-L’Atalante, 347 p., 18 euros. ]], qui permet de mieux connaître et comprendre la société iranienne, et ces trente années du pouvoir des mollahs. Au-delà des caricatures.

[^2]: Ce ne serait pas la première fois que j’y suis minoritaire ! J’assume…

[^3]: J’en reçois aussi d’une autre teneur, hein ! Tiens, celui-ci, je ne résiste pas à l’envie de vous le faire lire : « Une vieille bique salue le vieux bouc. Les semaines où vous n’écrivez pas dans Politis, je râle et vous traite de fainéant. On n’est pas au bout du commencement du chemin… Peuvent-ils comprendre, les ceusses de bien à gauche, qu’il faut changer de méthode pour un rassemblement efficace ? Que sont 27 % de 40 % de votants, et les autres… Ah ! Ah ! Je me rends compte que certains qui ne voteraient pas vont finir par y aller, comme si Dieu les voyait ! »

[^4]: Voir son blog, Vive le feu !, désormais sur Politis.fr.

[^5]: Où l’on a rouvert la boîte à gifles ! Martine Aubry sera-t-elle sacrifiée, comme le fut Rocard en son temps ? Vous le savez sans doute déjà…

Edito Bernard Langlois
Temps de lecture : 8 minutes