Quand le géant chancelle

Le premier constructeur automobile américain, General Motors, est en faillite depuis le 1er juin, ce qui menace l’avenir de toute une ville. Reportage à Detroit (Michigan).

Vanessa Gondouin-Haustein  • 18 juin 2009 abonné·es
Quand le géant chancelle

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La nature a repris ses droits dans la banlieue nord de Detroit, à Hamtramck. Le quartier est devenu fantôme, les derniers habitants vivent dans les décombres des maisons laissées à l’abandon et envahies par les rats. Dans cette partie de la ville, certains habitants continuent de se lever tous les matins pour se rendre à l’usine d’équipement automobile General Motors (GM), située à quelques blocs de là. « Nous n’en sommes pas à notre premier coup dur, GM se porte mal depuis des années. Ce qui n’est pas juste, c’est que nous payons pour les erreurs de gestion de patrons toujours plus ambitieux » , explique Mike, le garagiste du quartier. Malgré la situation économique et le déclin de l’industrie automobile, il reste optimiste. Après avoir travaillé pendant plusieurs années pour l’usine d’Hamtramck, l’un des fleurons de GM, célèbre pour ses Cadillac DTS et sa Lucerne Buick, Mike s’est reconverti en garagiste, spécialiste de la voiture GM. Mais les années ont passé, et l’industrie automobile s’est considérablement détériorée. Aujourd’hui, Mike répare les tracteurs et quelques vélos. Pas de quoi faire un chiffre d’affaires, juste l’envie de continuer à laisser ses mains se balader sur les moteurs qu’il affectionne particulièrement.

Dans ce quartier complètement dévasté, Mike est, avec le marchand d’alcools et le bar, au seul endroit où il reste un peu de vie. « Quand les ouvriers ont commencé à être licenciés, les plus aisés ont quitté la ville, les plus pauvres sont restés, les écoles ont fermé, les commerces ont mis la clé sous la porte. Nous sommes aujourd’hui une centaine d’hommes dans un quartier de la ville de Detroit qui était très prisé il y a seulement vingt ans. Les plus chanceux ont un toit, les autres sont dans les débris des maisons » , ajoute Mike. « Les activités ? Elles ne sont plus très variées, poursuit-il. Il y a ceux qui continuent les quarts chez GM, et les autres qui sont au bar pour boire un coup avec les copains. » À quelques centaines de mètres de là, le bar est plongé dans la pénombre, et l’ambiance est morose. Une dizaine d’hommes, une cigarette à la bouche, fixent le comptoir, où s’alignent des litres de bière. Le temps semble s’être figé.

Le site d’Hamtramck est l’une des 47 usines GM des États-Unis. Il y a une vingtaine d’années, 5 500 ouvriers y étaient employés. Aujourd’hui, ce chiffre a considérablement baissé. Ici, comme dans de nombreuses autres usines de la région, les emplois sont menacés, et les salariés sont au ­chômage technique. « Nous ne savons pas quand nous allons reprendre. Mais il semble que notre usine est appelée à fermer pour mieux ressusciter dans quelques mois. Nous devrions fabriquer la Chevrolet Volt, le prochain véhicule électrique » , explique George McGregor, président d’une section locale du puissant syndicat de l’automobile Union of Automobile Workers (UAW), qui représente l’usine d’Hamtramck.
La banlieue nord, le centre de Detroit, la banlieue ouest : tous les quartiers finissent par se ressembler. « Nous avons bâti la ville, nous, travailleurs de l’automobile. Dans l’avenir, tous les quartiers de Detroit vont finir comme celui d’Hamtramck si rien n’est fait », déplore McGregor. Une grande partie de la ville est sinistrée et conserve les vestiges d’une époque faste où les théâtres et les commerces animaient la vie mondaine. Les théâtres ont été transformés en parkings, des dizaines de milliers de logements sont vides, même les équipes sportives peinent à renouer avec le succès.

Le déclin de « Motor City », nom donné à cette ville berceau de l’automobile, a commencé dans les années 1960, au moment où l’installation des Afro-Américains dans le centre de la ville a provoqué l’exode des Blancs vers les banlieues éloignées et plus chics. La ville a été le témoin des plus violentes émeutes raciales en 1967 et a brûlé pendant plusieurs jours (« Motor City is burning », l’un des titres du groupe de rock MC5, est encore présent dans l’esprit des habitants). Depuis cette époque, la ville ne s’est jamais réellement remise. Détroit atteignait près de 2 millions d’habitants en 1950, aujourd’hui il ne reste que quelque 800 000 habitants répartis sur 370 km2, et le chiffre pourrait chuter si le géant de l’automobile échouait à se restructurer. « Ces derniers mois, le nombre de cols bleus licenciés de chez GM ne cesse de croître. Tous les jours, ils viennent au centre pour réclamer des emplois dans les services et les commerces. Mais, sans commerce, sans école, nous n’avons aucun emploi à leur proposer. Même les grandes chaînes de magasins ferment », explique tristement Jordette Singleton, responsable de l’agence pour l’emploi Kelly Services.

« Detroit est la ville des records, estime Kevin Bauman, architecte-photographe et spécialiste de la ville. La période faste, avec la première route goudronnée de l’humanité en 1901, la première voiture en 1903, les meilleures industries automobiles, les plus grandes usines d’armement pendant la Seconde Guerre mondiale. Et puis le déclin. Le taux de chômage le plus élevé du pays, à 21 %, le taux de criminalité le plus élevé, le nombre de logements abandonnés le plus élevé, à 40 %, le nombre de saisies immobilières le plus élevé, et le seul endroit de ce pays où les maisons se vendent aux enchères à 100 dollars. »
La disparition de General Motors pourrait avoir l’effet d’une bombe à retardement sur l’économie américaine : un emploi sur vingt est lié à l’industrie automobile. Motor City cherche aujourd’hui son moteur de demain, ne pouvant se résigner à devenir une ville fantôme.

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