« Sus aux politiques natalistes ! »

Alors que la surconsommation ne faiblit guère, le député Vert Yves Cochet démontre pourquoi, selon lui, il faut impérativement modérer les naissances dans les pays occidentaux.

Patrick Piro  • 11 juin 2009 abonné·es

Politis / Avez-vous lancé l’idée d’une « grève du 3e ventre » comme une provocation ou bien l’assumez-vous sérieusement ?

Yves Cochet / Je n’ai pas l’habitude d’inventer des petites phrases pour qu’elles rebondissent dans les médias, mais d’avancer les propositions qui me paraissent les plus justes au regard de la situation de l’humanité, sans esprit partisan ni outrancier.
Tout d’abord, cette référence à la « grève du ventre » est un hommage aux féministes françaises néomalthusiennes de la fin du XIXe siècle : elles refusèrent de fournir de la « chair à canon » à un gouvernement qui poussait à la famille nombreuse après la défaite de 1870.
Un bon siècle plus tard, la France vit toujours sous l’empire d’une politique nataliste, et tout le monde pense que c’est naturel. On distribue des médailles aux femmes méritantes, et les allocations familiales sont sacrées. Je ne propose pas d’arrêter de faire des enfants, mais que les politiques française et européenne deviennent neutres vis-à-vis de la natalité, voire qu’elles favorisent la modération des naissances.

Les messages de contrôle sont généralement destinés aux pays du Sud…

Il faut tordre le cou aux lieux communs : le problème démographique ne se pose pas pour l’Afrique, aujourd’hui ! Sa population, par sa sobriété, ne pèse pas démesurément sur les ressources naturelles. En revanche, chaque Européen exerce une pression très importante – ponction sur l’énergie, émissions de gaz effet de serre, dégradation de la biodiversité, pollution des milieux, etc. –, multipliée à quelque 500 millions d’exemplaires ! Voilà le sens de ma comparaison : un enfant européen qui vient au monde génère, dès la naissance, un impact douze fois plus important qu’un petit Burkinabé. Ce qui a des répercussions politiques, démocratiques, sociales et économiques considérables : aujourd’hui, l’Europe dépasse de très loin la capacité de ses ressources à se régénérer. Son modèle de vie est insoutenable.

Pourquoi ne pas cibler essentiellement ce dernier, plutôt que s’en prendre à une natalité occidentale qui peine à renouveler les générations ?

Peut-on sérieusement compter sur le seul recul de la consommation matérielle ? Depuis le sommet de la Terre de Rio, en 1992, en passant par celui de Johannesburg en 2002, et dans l’attente fébrile de celui de Copenhague sur le climat à la fin de l’année, on a beau parler au plus haut niveau, nous ne constatons que la croissance des impacts sur la planète. Les plans de relance d’Obama, de Sarkozy, de Merkel, etc., c’est « toujours plus » !
Cela fait des années que je fais monter mes analyses et mes propositions : si j’aborde aujourd’hui la question démographique, c’est que la réalité factuelle de ce monde m’y incite, en responsabilité.
Et la situation est gravissime, les plus préoccupantes des hypothèses des climatologues sont dépassées. Sans une réaction extrêmement énergique, l’humanité se prépare au pire. C’est-à-dire à la perspective de guerres civiles avec un nombre de morts considérable [^2] ! Quel avenir dessinons-nous au 3e enfant ?
Je conclus simplement que nous n’y arriverons pas si nous ne jouons pas simultanément, démocratiquement, équitablement et solidairement sur les deux facteurs que sont le niveau de consommation individuel et la taille de la population.

Cette proposition vous a valu des attaques virulentes…

J’ai dit exactement : réduisons les allocations familiales dès le 3e enfant. Et rien de plus.
L’extrême droite m’a fortement attaqué
– ce n’est pas une surprise. Mais, ailleurs, on m’a traité de néofasciste, d’autoritariste, etc. Une directrice de recherche de l’Institut national d’études démographiques (Ined) a dit que je voulais la disparition de l’humanité. Même le mensuel la Décroissance m’a épinglé !
Nous y voilà : on veut bien changer le modèle économique, la société, etc., mais pourvu que l’on ne touche pas à la démographie : ça fait partie de la sphère privée. Mais on se leurre ! La « transition démographique », cette inflexion historique de la croissance de la population des pays industrialisés, a été totalement structurée par une évolution culturelle, que l’on revendique désormais comme un élément de la « civilisation européenne ». Rien de privé, là-dedans, c’est un choix de société. Il y a trente-cinq ans, c’était encore « Dieu qui voulait les enfants » : l’autorisation de l’avortement par la loi Veil et le planning familial ont bien montré qu’il existe une politique démographique publique. Pourquoi ne pas l’étendre au champ de la réduction des impacts des humains sur l’environnement ?
Je ne suis pas un radical extrémiste, je suis même plutôt modéré. À l’opposé des réactions épidermiques, j’ai le sentiment de choisir des mots justes découlant d’analyses justes, qui ont le plus grand mal à être admises aujourd’hui. Je me prononce non pas au nom de fantasmes personnels, mais sur des bases scientifiques, en m’appuyant sur la matérialité du monde.

Vous avez aussi été critiqué
dans votre camp. Vous allez trop loin pour les Verts ?

C’est vrai que l’on me stigmatise également dans mon parti, j’en ai surpris quelques-uns. Je ne fais pourtant que dérouler un raisonnement spécifique à l’écologie politique : la capacité d’aborder les problèmes avec une vision globale.
En l’occurrence, ayons le courage d’affronter nos préjugés et nos tabous : nous n’avons pas pris en compte tous les paramètres de la crise écologique. En particulier, il faut interroger cette politique nataliste en vigueur depuis la fin du XIXe siècle. René Dumont, le premier candidat écologiste à la présidentielle en 1974, le disait avant moi ^3. Au mot près, je ne fais que le remettre au goût du jour.

[^2]: Voir L’Antimanuel d’écologie, éditions Bréal, 2009, chapitre X.

Temps de lecture : 5 minutes