Tu me prêtes ton salarié ?

Emploi : le retrait de l’amendement autorisant le travail pendant un congé maladie a masqué une proposition de loi très régressive permettant à plusieurs entreprises de « partager » un employé.

Thierry Brun  • 11 juin 2009 abonné·es
Tu me prêtes ton salarié ?

Ce ne devait être qu’une éphémère tentative de Frédéric Lefebvre, porte-parole de l’UMP. Sans doute pour séduire les libéraux, ce sarkozyste voulait autoriser le télétravail pendant un arrêt maladie ou un congé maternité, dans un amendement provocateur qui a été repoussé en commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. « Une idée nouvelle dans notre pays » , se félicitait pourtant Xavier Bertrand, secrétaire général de l’UMP, ­désavoué par son propre camp et vivement critiqué par la gauche.

Frédéric Lefebvre n’eut donc ­d’autre choix que de battre en retraite. Mais la polémique a masqué le contenu d’une proposition de loi votée le 9 juin à l’Assemblée nationale (celle que voulait amender Lefebvre), qui a le soutien sans faille de la droite et du Medef. Initiée par son rapporteur, Jean-Frédéric Poisson (UMP), elle est destinée à « faciliter le maintien et la création d’emplois » , et contient dans son esprit de quoi « permettre l’émergence d’une forme de flexisécurité » . Autrement dit, une nouvelle réforme du code du travail aux régressions majeures a été adoptée comme une lettre à la poste par la majorité, et cette fois-ci sans polémique très médiatique.

L’objectif de Jean-Frédéric Poisson consiste à développer les groupements d’employeurs, soutenir l’emploi des jeunes et la professionnalisation, promouvoir le télétravail et aider les seniors en difficulté. Concrètement, le député permet « à plusieurs employeurs de recruter un seul salarié chargé d’accomplir des tâches successives et de lutter contre le temps partiel subi » . Cette nouvelle recette dite de « prêt de main-d’œuvre » se veut anticrise et est déjà expérimentée dans plusieurs entreprises, avec des résultats mitigés. Elle est surtout perçue par les syndicats comme une mise en cause du contrat de travail et des droits des salariés.

Le nouveau texte propose de déréglementer le prêt de salariés et le télétravail, et donc les droits sociaux. Comment ? « Le dispositif proposé sécurise la situation des employeurs en les mettant à l’abri du délit de marchandage, note Roland Muzeau, porte-parole des députés communistes et du Parti de gauche, membre de la commission des affaires sociales. Les contreparties protectrices pour les salariés, en revanche, restent cosmétiques. Il n’y a ainsi aucune définition claire et précise des conditions d’emploi des salariés prêtés, de la durée de leur mission, de son objet, de la responsabilité de chacun en cas d’accident du travail, de la convention collective dont les salariés relèvent. »
Le salarié peut donc être prêté à une entreprise dont les conditions de travail sont exécrables. Très souple, la loi Poisson permet de contourner aisément les droits sociaux (notamment les garanties exigées par l’intérim) au bénéfice de l’employeur. Le texte ouvre aussi les vannes de la « télédisponibilité généralisée » , ajoute Roland Muzeau. Elle « a servi de véhicule à des propositions périlleuses » , comme l’amendement Lefebvre, mais aussi à un autre amendement retenu par la commission des affaires sociales, émanant de Pierre Morel-A-L’Huissier (UMP). Il permet « d’imposer le télétravail à des salariés valides, ou non d’ailleurs, pour cause de circonstances jugées “exceptionnelles”, au rang desquelles a été rangé le risque de pandémie mais qui pourront couvrir bien d’autres situations [^2] » .

Plus largement, l’amendement complète une série de textes mettant en œuvre une flexibilité tous azimuts, notamment avec les heures supplémentaires « choisies » et la « modernisation du marché du travail ». Ne manque plus que celui sur le travail dominical pour parachever une marchandisation du salariat.

[^2]: On ne sait lundi 8 juin si la proposition de loi Poisson a été amendée par Pierre Morel-A-L’Huissier.

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