Assécher le barrage

La Société générale se retire du financement du gigantesque projet d’Ilisu, combattu par des ONG.

Politis  • 17 juillet 2009 abonné·es

C’est par un communiqué très sibyllin, et en commun avec Bank Austria et DekaBank, que la Société générale a annoncé la semaine dernière qu’elle renonçait à soutenir financièrement la construction du barrage d’Ilisu en Turquie. « Une victoire historique ! » , se réjouissent les Amis de la terre, qui bataillent depuis plus de deux ans pour obtenir le retrait de la banque française d’un projet qui viole ouvertement, et dans les grandes largeurs, le cahier des charges social et environnemental qu’il s’était imposé de respecter, sésame pour l’obtention de crédits internationaux, européens en particulier.

Le barrage d’Ilisu, sur les bords du fleuve Tigre, au sud-est de la Turquie, est le deuxième en importance d’une série d’énormes projets destinés à exploiter le potentiel hydroélectrique du pays [^2]. Ilisu avait déjà été abandonné une première fois en 2002, pour être finalement remis en piste en 2007 malgré des impacts potentiels considérables. Outre les dégâts écologiques, aucun accord de répartition des eaux du Tigre en aval du barrage n’a abouti avec l’Irak et la Syrie, dans une région semi-aride où le sujet extrêmement sensible ; de plus, le lac de retenue engloutirait de nombreux sites historiques, dont la ville de Hasankeyf, fondée il y a dix mille ans et témoignage exceptionnel des civilisations mésopotamiennes ; enfin, près de 60 000 personnes, majoritairement kurdes, sont promises à un déplacement forcé, sans indemnisations ni plan de réinstallation satisfaisant.
La banque française n’a cependant pas fait preuve d’un grand discernement par son renoncement : elle se contente de quitter le bateau avant que son image n’en pâtisse trop. En effet, alors que les rapports défavorables d’ONG se multipliaient, que les garanties turques sont toujours aussi peu convaincantes, et que les expulsions de paysans se poursuivent, l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse sont enfin passées aux actes fin juin, retirant définitivement leurs garanties de crédit après un ultimatum posé en octobre 2008.

Sévèrement plombé par ce trou de plusieurs centaines de millions d’euros, Ilisu n’est cependant pas encore formellement enterré, et les militants comptent intensifier leur pression pour en obtenir le retrait définitif.
Pour la première fois dans ce genre de projet, relèvent les Amis de la terre, les critères sociaux et environnementaux ont pris le pas sur les promesses économiques. Un revers qui devrait inciter la Société générale à se doter d’une éthique solide dans le financement de tels projets, appuie l’association : la banque est impliquée dans 11 des 14 investissements internationaux très critiqués qu’elle dénonce.

[^2]: Voir Politis n° 953.

Écologie
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