« L’identité ouïgoure résiste au modèle chinois »

Spécialiste de la Chine, Jean-Vincent Brisset* rappelle que la revendication d’indépendance s’appuie sur un réel passé national, jusqu’à la révolution maoïste de 1949.

Denis Sieffert  et  Emma Villard  • 17 juillet 2009 abonné·es

Politis : Quelle est l’histoire de la minorité ouïgoure ?

Jean-Vincent Brisset : Des minorités qui se sentent opprimées, en Chine, ça ne manque pas. Mais les Ouïgours ont une particularité : ils peuvent se référer à un « passé meilleur » dans la mesure où ils ont connu un passé de souveraineté. En effet, un État ouïgour, le Turkestan oriental, a existé [notamment de 1944 à 1949, NDLR]. C’était un État assez faible qui vécut des conflits, notamment avec les Tibétains ou les Chinois. Leur affrontement avec les Chinois dure donc depuis des siècles, et c’est là leur point commun avec les Tibétains.

La situation économique des Ouïgours tend-elle à s’aggraver ou l’État chinois prend-il en compte certaines de leurs revendications ?

C’est une question à laquelle il est difficile de répondre dans la mesure où les acquis économiques se font au détriment de l’identité culturelle. L’amélioration sociale vient lorsque les Ouïgours acceptent de se fondre dans le modèle chinois. Lorsqu’ils se rendent compte de ce qu’il peut apporter en matière d’accès à l’éducation ou à la santé même si cela les oblige à tordre le bras à leurs convictions. Ainsi, un Ouïgour est obligé de faire ses études en chinois. Tous ces problèmes d’appartenance, de langue, bref de sinisation, sont lourds.

**L’islam ouïgour est-il influencé par des courants islamistes ?
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Il est difficile de parler d’Al-Qaïda dans ces mouvements indépendantistes. Il est vrai qu’il y a des communautarismes musulmans, mais ce sont plutôt des communautarismes turcophones, et ils sont plus centrés sur le Xinjiang que sur les terres arabes. Les différences religieuses existent certainement, mais l’ancrage religieux est relativement limité. D’un autre côté, il est bien évident que les extrémistes musulmans, non-nationalisants, sont tout à fait favorables à l’exploitation de ce communautarisme local pour déstabiliser un État qui est considéré comme étant un ennemi de l’islam radical.

Les Ouïgours peuvent-ils s’adonner à leur culte sans trop d’entraves ?

Une chose est claire : les mosquées ont été fermées après les émeutes de la semaine dernière et, d’autre part, on ne peut exercer une religion en Chine que si c’est celle du Parti. Il y a donc toujours une dichotomie entre l’Église officielle et l’Église souterraine. Pour les musulmans, c’est encore plus compliqué à dire car l’État chinois reconnaît officiellement moins de 20 millions de musulmans, mais ces chiffres sont peu fiables, car si on actualise des statistiques anciennes, on devrait en compter 60 voire 80 millions ! De plus, on sait que la majorité des musulmans en Chine ne sont pas des Ouïgours mais des Chinois hans convertis à l’islam. Ainsi, il y a des personnes dont on ne connaît pas le degré d’imprégnation religieuse ou chinoise… Les Ouïgours qui se satisfont du système participent à la course généralisée pour la richesse, ils quittent donc leur province soit comme travailleurs manuels pauvres, soit comme travailleurs de rue – par exemple, vendeurs de brochettes dans les rues de Pékin –, et ces gens-là sont mal perçus parce qu’on les accuse, en quelque sorte, d’être des voleurs de poules.

Revenons-en à la revendication autonomiste ou indépendantiste : a-t-elle beaucoup d’échos parmi les Ouïgours ? Et au-delà de la frontière kazakhe ?

Il y a une revendication sourde, latente, et elle est sans doute beaucoup plus exprimée à l’étranger qu’en Chine même. Il est très intéressant de voir ce qui se passe autour des Ouïgours au Kazakhstan et, plus généralement, en Asie centrale. Pour se tenir informée de cela, la Chine a même conclu des alliances afin de mettre en place un réseau de renseignement intérieur. Pour les Ouïgours, la frontière est tout à fait perméable et malléable. En vérité, ils considèrent qu’il n’y en a pas !

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