Quand le RSA sème la pagaille

Loin du tintamarre de la communication gouvernementale, la mise en place du revenu de solidarité active n’est pas si évidente sur le terrain. Exemple en Loire-Atlantique.

Fanny Derrien  • 17 juillet 2009 abonné·es
Quand le RSA sème la pagaille

Le revenu de solidarité active (RSA) est l’occasion pour Martin Hirsch, haut-commissaire aux Solidarités actives, d’occuper le terrain médiatique. Après l’entrée en vigueur le 1er juin de ce nouveau minimum social, les premiers versements à quelque 1,3 million de foyers, le 6 juillet, ont été supervisés par le haut-commissaire en personne.

Officiellement, tout va bien. Le dispositif, qui remplace le RMI et l’allocation de parent isolé (API), joue à la fois le rôle de revenu minimum garanti pour les personnes privées d’emploi et de complément de revenus pour les travailleurs modestes. Expérimenté depuis septembre 2007 à Nantes, le RSA est « un succès », d’après le conseil général de Loire-Atlantique. Un an plus tard, « 957 allocataires du RMI ou de l’allocation de parent isolé sur les 2 200 recensés ont retrouvé un travail à temps partiel, et bénéficient du RSA » , se réjouit Alain Robert, vice-président du conseil général. Près de la moitié d’entre eux touchaient le RMI depuis plus de trois ans. C’est donc avec tambours et trompettes qu’au mois d’avril, juste avant la généralisation du RSA, le nombre d’agents d’insertion a été doublé et regroupé au sein d’unités emploi au conseil général.
Mais cette communication volontariste cache mal les dysfonctionnements existants. Car la phase d’expérimentation du RSA n’a pas réussi à prémunir le département contre tous les risques. L’aspect très individualisé de ce dispositif, dont le montant varie selon les ressources, la situation familiale et l’âge des enfants, a multiplié les questions sans réponses. « Il y a autant de RSA que de bénéficiaires » , soupire un chargé d’accompagnement à l’emploi au conseil général [^2], qui ne désespère pas : « C’est en activant le dispositif qu’il prend forme. »

Pour les agents sur le terrain, l’accompagnement le plus approprié pour le « RSAiste » est un véritable casse-tête : a-t-il plutôt besoin d’un référent professionnel de l’emploi ou d’un travailleur social ? Vaut-il mieux lui assigner un référent proche de son lieu de travail ou de résidence ? S’il ne travaille pas sur le même territoire que celui où il vit, de qui dépend l’allocataire ? Autant de questions qui sont régulièrement tranchées par le conseil général. Mais les délais sont parfois longs : le temps que l’information remonte vers le vice-président délégué à l’insertion et à la solidarité et qu’elle redescende en bon ordre vers les agents de terrain. Surtout, il arrive que les décisions prises localement soient invalidées quelques jours après par des décrets du ministère.
Plus grave, en Loire-Atlantique, la cogestion du RSA entre le conseil général et Pôle emploi n’est toujours pas finalisée [^3]. «  Pour l’instant, il n’y a pas de point d’accueil RSA au sein de Pôle emploi, les demandes sont traitées dans le cadre du RMI » , témoigne Stéphane Joncour, délégué FO en Loire-Atlantique. Les termes du partenariat entre les conseils généraux et Pôle emploi, prévu par le décret d’application (avril 2009), font l’objet d’âpres négociations au niveau local. Car « la prise de contact entre Pôle emploi et le conseil général n’est pas identique dans tous les départements [^4]. Elle dépend de la politique menée par le conseil général : il peut internaliser la gestion du RSA ou la sous-traiter selon les besoins des bénéficiaires [appui social ou professionnel] », explique un responsable du siège national de Pôle emploi. Et, parfois, les négociations n’aboutissent pas à temps, comme c’est le cas dans le département de Loire-Atlantique. «  Pôle emploi souhaite garder la main sur les allocataires du complément RSA car ce sont, a priori, les bénéficiaires les plus proches de l’emploi et les plus mobilisables, raconte le chargé d’accompagnement à l’emploi. L ’accompagnement professionnel constitue le cœur de son métier, pas l’insertion. »

Les personnes qui ont besoin d’un accompagnement plus soutenu seraient alors prises en charge par le conseil général. Mais d’après les syndicats de Pôle emploi, en Loire-Atlantique, la négociation bute ­surtout sur la question des moyens. Jusque-là, le conseil général finançait entièrement les conseillers chargés d’accompagner les RMistes au sein des pôles emploi. Il réclame désormais leur intégration dans les unités emploi. De son côté, Pôle emploi réclame plus de moyens au conseil général pour faire face à la crise. « On estime qu’entre 40 000 et 60 000 demandeurs d’emploi supplémentaires vont venir grossir les files de Pôle emploi en Loire-Atlantique » , explique Stéphane Joncour. En comparaison, les 1 840 emplois supplémentaires affectés par l’État à l’ensemble des pôles emploi (environ 2 500 points d’implantations) paraissent dérisoires [^5].
Ce conflit est d’autant plus prégnant qu’il recoupe les clivages partisans [^6] et se traduit aussi par une mise en concurrence de Pôle emploi et du conseil général. Ainsi, en Loire-Atlantique, il est plus avantageux pour un employeur de recruter à travers un contrat d’accompagnement dans l’emploi (CAE), pris en charge par Pôle emploi, plutôt qu’un contrat avenir du conseil général. « Dans ce contexte de crise, l’État privilégie clairement les travailleurs tout juste licenciés par rapport aux bénéficiaires de minima sociaux de longue date. Pôle emploi, interpellé et mobilisé par les entreprises en crise, espère tirer profit de ce partenariat dans un contexte de relance » , avance le chargé d’accompagnement à l’emploi. Cette concurrence entre Pôle emploi et le conseil général laisse entrevoir un système à deux vitesses, qui favorise le développement de l’emploi avec RSA dans les entreprises. Le contrat unique d’insertion (CUI), prévu pour janvier 2010, devrait cependant remplacer tous les dispositifs actuels. Mais il s’agit d’une goutte d’eau dans un océan de problèmes. Car au lieu de rationaliser le système d’aide sociale, l’organisation du RSA n’a fait en vérité que le complexifier et le rendre plus concurrentiel. Un raté de l’organisation qui vient s’ajouter à une logique de fond toujours discutable.

[^2]: Cette personne a souhaité rester anonyme.

[^3]: D’après le décret du 15 avril 2009, le conseil général gère la mise en application du RSA en s’appuyant prioritairement sur Pôle emploi.

[^4]: Dans certains départements, il existe depuis 2005 des conventions entre le conseil général et l’ANPE relatives au RMI.

[^5]: D’après un responsable de Pôle emploi national, l’État a aussi créé 1 007 emplois supplémentaires dans les CAF et 500 au sein de plateformes téléphoniques.

[^6]: Patrick Mareschal est devenu en 2004 le premier président de gauche de la Loire-Atlantique.

Temps de lecture : 6 minutes