Une taxe carbone en trompe-l’œil

Geneviève Azam  • 17 juillet 2009 abonné·es

Après la disgrâce, l’engouement pour l’impôt ? Le gouvernement français a annoncé l’étude d’une taxe nationale carbone et a réuni pour cela un groupe d’experts. Qu’en est-il de cette proposition ? Au moment où ces lignes sont écrites, le rapport des experts n’est pas encore public, mais plusieurs textes préparatoires, notamment le  *Livre blanc sur la contribution climat-énergie* (taxe carbone), en donnent les balises. La France, comme les autres pays de l’Union européenne, doit avoir diminué de 20 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2020, par rapport au niveau atteint en 1990. Pour cela, les entreprises industrielles et énergétiques les plus émettrices se voient remettre des quotas d’émission (droits à polluer) correspondant aux objectifs à atteindre, qu’elles peuvent ensuite échanger sur le marché européen du carbone, sur lequel se fixe le prix de la tonne carbone [^2]. Cela concerne 38 % des émissions françaises. C’est pour les émissions non couvertes par le marché européen du carbone, qui doivent être réduites en France de 14 % en 2020 par rapport à 2005, selon le paquet Climat-Énergie de l’Union européenne, que le gouvernement français envisage une taxe carbone, portant sur l’utilisation des combustibles fossiles. Deux secteurs essentiels sont concernés, les transports et le résidentiel, qui ont vu leurs émissions augmenter entre 1990 et 2005.

Cela pourrait être une bonne nouvelle, tant il est urgent de dégager des fonds publics pour réorienter dès aujourd’hui la production et la consommation vers des modèles économes en énergie fossile et peu émetteurs de gaz à effet de serre. En cela, la taxe est un des moyens pour obtenir les résultats escomptés, qui devraient d’ailleurs atteindre un niveau de réduction de 40 % en 2020 et non de 20 % seulement, selon les recommandations du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Un rapport de l’Ademe de juin 2009 ( Stratégie et études, n° 19) indique qu’une taxe fixée à 32 euros la tonne de CO2 rapporterait entre 5 et 8 milliards de recettes fiscales. Mais pour quoi faire ? À cet égard, le Livre blanc est explicite : « Les recettes nouvelles financeront en contrepartie la baisse des autres prélèvements obligatoires. » Avec en ligne de mire la réduction des prélèvements sur la masse salariale et son corollaire, la baisse des prestations sociales, avec pour résultat l’absence de fonds publics supplémentaires pour financer les transports collectifs et l’efficacité énergétique des bâtiments. Or, ces deux postes, transport et logement, sont essentiels dans les budgets des ménages, dont les plus pauvres se trouvent souvent captifs d’une véritable trappe à carbone du fait de l’absence de choix véritables en matière de consommation. Enfin, une étude de l’OCDE en 1999 dans quatre pays scandinaves a montré que les ménages paient plus de la moitié des taxes sur l’énergie alors qu’ils n’en consomment que 20 %.
Cette injustice sociale pourrait être levée, selon la Fondation Nicolas-Hulot, par la remise d’un « chèque vert » aux ménages. Le ministre Jean-Louis Borloo, qui répète à l’envi que le pouvoir d’achat des ménages ne doit pas être affecté, envisage ce chèque vert, calculé de manière forfaitaire. Ce serait donc une innovation séduisante ? Après avoir déjà dépouillé la contribution de sa capacité à jeter les bases d’une nécessaire transition, elle aurait surtout le mérite de vider la fiscalité de son contenu collectif et redistributif, et de gratifier les ménages dont les revenus autorisent la vertu.

Enfin, si l’idée d’une taxe à contenu redistributif et capable de dégager des ressources pour assurer une transition écologique est nécessaire, son assiette reste à discuter. Pourquoi une taxe sur l’énergie fossile seulement, et non sur l’énergie consommée ? Toujours selon l’Ademe, l’inclusion de la consommation électrique permettrait de dégager 800 millions d’euros de plus sur la base (pourtant très minimale) d’un contenu de 80 grammes de CO2 par KWh. Mais cela nuirait au puissant lobby du nucléaire, qui s’échine à laisser croire que l’énergie nucléaire serait une solution au changement climatique, lequel exige au contraire des politiques globales de sobriété énergétique.

[^2]: Voir brochure d’Attac : « Pour une justice écologique, libérons le climat des marchés financiers » (fin juillet).

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