Comment ça se passe chez nos voisins européens ?

Thierry Brun  • 24 septembre 2009 abonné·es

Le gouvernement français se garde bien de le rappeler aux citoyens, mais le premier acte de libéralisation, défini dans l’article 129b du traité de Maastricht (1992), fut la directive postale de 1997. Depuis cette date, deux autres directives (en 2002 et 2008) ont accéléré la mise en concurrence des services publics postaux, la dernière fixant à 2011 l’ouverture totale du marché postal dans l’Union européenne. Le changement de statut et l’ouverture du capital de La Poste s’inscrivent dans ce vaste mouvement qui formera un « marché intérieur postal » prometteur, si l’on en croit les évaluations de la Commission européenne, qui publie régulièrement des rapports sur l’évolution des libéralisations postales dans l’Union. Le plus récent, remis fin décembre 2008, estime que « les opérateurs ont amélioré considérablement leur efficacité en restructurant leurs activités, ce qui a eu pour effet de contenir les coûts et d’améliorer la qualité du service ».

Cette analyse est pourtant largement contredite par les syndicats de salariés et une note réalisée en France par la Fondation Copernic, l’Association internationale de techniciens, experts et chercheurs (Aitec) et ­l’association altermondialiste Attac. Pour ces organisations, le bilan des pays les plus avancés en matière d’ouverture à la concurrence des services postaux « ne donne pas vraiment envie de se lancer dans une aventure où les usagers n’ont rien à gagner, et les salariés de La Poste tout à perdre ».

Ainsi, en Suède, l’ouverture à la concurrence est totale depuis 1993 mais « ne joue qu’à la marge » . Privatisée, Posten AB «  bat tous les records de prix » du timbre-poste, celui-ci ayant enregistré une hausse de 90 % entre 1993 et 2003. Un tiers des emplois de postiers y ont été supprimés en quelques années ainsi que plus de la moitié des bureaux de poste, « les supérettes faisant office d’agences postales. Malgré ces purges, Posten AB a évité de peu la banqueroute » . Mais l’opérateur postal se porte mieux et a enregistré des bénéfices en 2007 et 2008. Mieux, Posten AB s’est lancé cette année dans une fusion avec les postes danoises, et le ministre danois des Transports a même indiqué que les prix des services pourraient augmenter…

Autre cas, les déboires de Royal Mail, qui a succédé à la vénérable Post Office Corporation, l’ancienne administration postale britannique, ne sont pas passés inaperçus dans l’Union. Privatisé en 1999 par le gouvernement Blair, le nouvel opérateur change de nom et devient Consignia, jusqu’à sa chute et sa renationalisation en catastrophe après une perte de… 1,5 milliard de livres. Aujourd’hui, Royal Mail est une entreprise publique à statut de société par actions, qui est soumise à une forte concurrence depuis que le Royaume-Uni a entièrement ouvert son marché postal en 2006. «  Résultat : un plan de réorganisation entraînant la fermeture de 2 500 bureaux de poste et une compression de la masse salariale. » Désormais, 8 000 épiceries assurent les services postaux, et près de 30 000 emplois seront supprimés d’ici à 2010.

Au Pays-Bas, la célèbre TNT, présente partout dans le monde, a remplacé l’entreprise publique de postes et télécommunications. « On a pu croire au mythe de la croissance et des créations d’emplois, mais la réalité est aujourd’hui moins rose, relèvent la Fondation Copernic, l’Aitec et Attac. TNT envisage de supprimer entre 11 000 et 13 000 emplois sur 59 000 dans les années qui viennent, tandis que 70 % de la main-d’œuvre travaille à temps partiel. » Et il n’y a aucune couverture en zone rurale, déplore un mémorandum de la CGT. TNT Post, filiale de la poste hollandaise, s’est aussi distinguée en embauchant en Allemagne « des jeunes de 13 ans afin de distribuer des catalogues et des prospectus avec une rémunération comprise entre 10 et 15 euros pour une durée de trois heures » , ajoute la CGT. Signe que tout ne va pas très bien dans la libéralisation du marché postal, les Pays-Bas, où l’ouverture complète du marché était envisagée, ont reporté celle-ci sans fixer de date.
En revanche, le voisin allemand a autorisé une libéralisation complète de ses services postaux en janvier 2008. Privatisée en 1995, la poste allemande a multiplié les acquisitions et a supprimé pas moins de 150 000 emplois entre 1990 et 2002.

La CGT estime que « l’un des plus grands plans sociaux européens est à l’œuvre depuis 1990. Tous opérateurs confondus, plus de 300 000 emplois ont été détruits en quinze ans ».

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Ils veulent casser La Poste
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