De quels droits ?/Efficace, la vidéosurveillance ?

Christine Tréguier  • 10 septembre 2009 abonné·es

Michèle Alliot-Marie l’avait promis, et Brice Hortefeux a repris l’objectif à son compte : le nombre de caméras de vidéosurveillance installées dans l’espace public sera triplé d’ici à 2011. Seul fait nouveau, le ministre de l’Intérieur actuel s’appuie sur un rapport attestant leur efficacité. Une première en France, où, en vingt ans, aucune étude analysant l’impact des yeux électroniques sur la délinquance n’avait été réalisée. Le rapport a été commandé en mars dernier, pour couper court aux critiques de plus en plus nombreuses, mais il restera confidentiel. Seul le Figaro a eu le privilège de consulter le document. Le titre de son article donne le ton, « Vidéosurveillance, le rapport qui prouve son efficacité », et les auteurs du rapport
– l’Inspection générale de l’Administration (IGA), l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) et l’Inspection technique de la gendarmerie nationale (ITGN) – y sont présentés comme étant
« au-dessus de tout soupçon » . Flics et gendarmes ont analysé
les statistiques de la délinquance, et l’essentiel de leurs conclusions tient en une phrase : la vidéoprotection a « un impact significatif
en matière de prévention »
, en particulier dans le cas d’agressions contre les personnes.

Mais ce bilan français, très favorable aux caméras et à leur extension, est démenti par de nombreux rapports publiés par nos voisins anglais, champions européens de la vidéosurveillance. Le dernier en date
est sorti cet été. Réalisé par les services internes de la Metropolitan Police, il vient remettre en cause les investissements massifs (1,5 million de caméras dans Londres) dans la surveillance
des espaces publics. On ne compterait qu’un crime élucidé pour 1 000 caméras. Un chiffre qui ne surprend pas
David Davis, ex-ministre de l’Intérieur du contre-gouvernement conservateur anglais [^2]  : « Cela devrait provoquer un réexamen profond, et depuis longtemps nécessaire, des budgets investis dans la vidéosurveillance par le ministère de l’Intérieur. La vidéosurveillance se solde par des dépenses massives et une efficacité minimale. C’est une énorme intrusion dans la vie privée, pour peu ou pas d’amélioration de la sécurité. » Pour Davis, la Metropolitan Police
n’a que trop tardé à prendre en compte cette inefficacité.

En 2006, un rapport de Scotland Yard estimait que, faute de formation des agents, le caractère préventif de la vidéosurveillance était un
« vrai fiasco » avec seulement 3 % des crimes résolus grâce aux caméras. Les résultats
d’une autre enquête menée sur trois ans et publiée en 2005 par les services du ministère
de l’Intérieur britannique ne sont guère plus probants. L’analyse des statistiques recueillies sur treize sites urbains équipés et treize autres non équipés avait amené les enquêteurs à conclure que les caméras étaient inefficaces pour prévenir les délits impulsifs et, de manière plus générale,
les atteintes aux personnes. Ils soulignaient également
un déplacement géographique de la criminalité dans trois des six zones dans lesquelles la délinquance avait diminué. Un déplacement que le bilan français minimise totalement. À quand une étude indépendante, pour en avoir le cœur net ?

[^2]: Le « shadow cabinet » , ensemble des députés de l’opposition désignés pour agir comme porte-parole de leur parti dans un secteur administratif donné.

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