« José, à Bruxelles, ils vont lui mettre une cravate ! »

Ce mercredi, les eurodéputés devaient se prononcer sur la reconduction de Barroso à la tête de la Commission européenne. Cette semaine marque aussi la rentrée pour les petits nouveaux du Parlement européen. Comme José Bové, bien décidé à faire entendre ses valeurs dans une institution si libérale.

Claude-Marie Vadrot  • 17 septembre 2009 abonné·es
« José, à Bruxelles, ils vont lui  mettre une cravate ! »

On n’avait jamais vu autant de monde au marché paysan de Montredon ! Pour le dernier de l’année, en cette fin août, il y a bien là deux mille visiteurs, dont beaucoup sont aussi des acheteurs. Deux mille dans ce hameau de 19 habitants perché sur le vaste causse du Larzac. Pour la plupart, des paysans et des amis, plus quelques touristes, cherchant la bonne chère et venus voir le « héros » local. Car voilà l’événement ! José Bové, l’homme de Montredon, s’apprête à quitter, au moins le temps d’un mandat, son exploitation pour entamer une autre vie au Parlement européen. En attendant de partir pour Bruxelles, il fait griller à la demande, comme chaque année depuis vingt ans, les saucisses et les côtes de mouton du plateau, vendues directement du producteur au consommateur. La règle du marché paysan, bio et équitable, évidemment. Dans les groupes grignotant et achetant, beaucoup soupèsent les chances du militant de résister à la pression et à l’inertie bruxelloises. Entre doute, espoir, scepticisme, propos amicaux et questions inquiètes. C’est un peu la chanson de Barbara : « Dis, quand reviendras-tu ? »

Venue de Limoges pour le fromage et pour l’ambiance, comme à chaque fin d’été, Yvette, postière, se demande « ce qu’il va faire là-bas. Ils vont le broyer, le casser, lui faire accepter n’importe quoi, lui faire oublier qu’il est un militant, lui mettre une cravate ! » . La cravate. Ou la métaphore de la cravate, symbole de récupération. Des inquiétudes que ne partage pas le mari d’Yvette, instituteur, qui explique à leurs fils, dont c’est la première visite, quelles fermes ont été restaurées et quelles maisons promises aux tirs de l’armée par les projets d’extension du camp militaire des années 1970 ont échappé à la destruction annoncée. Lui veut croire que « la force des vieilles pierres sera avec lui ». Tout en admettant que son objection n’est pas vraiment politique mais affective et subjective : « Mais, bon, quand on regarde ce groupe de maisons que j’ai connues encore presque en ruines, on a tendance à croire que la lutte politique peut déplacer des montagnes, et que les gens d’ici sauront le rappeler à la raison s’il s’égare en chemin. » Autour des visiteurs, sous un soleil qui fait oublier combien l’hiver peut-être rude sur cette butte, tous les habitants – chacun à sa tâche – s’affairent comme si rien ne changeait. « D’ailleurs, vous nous emmerdez avec vos questions, il n’y a aucune raison pour qu’ici la vie change. Tout le monde doit se souvenir que Montredon, quand nous nous sommes progressivement installés, n’était plus qu’un hameau abandonné, tant les habitants y étaient pauvres, tant la vie y était dure. Nous lui avons donné un élan paysan et politique qui survivra à Bové, qui nous survivra. Parce que nous regardons toujours loin du Larzac. »
Dans la foule, un couple anglais cherche à comprendre comment il est possible de vivre toute l’année « dans un trou pareil » , et demande « si c’est pour la télé » que Bové et deux de ses amis s’enfument autour du barbecue. On leur explique que la télé n’est pas là et que ce sont des paysans qui organisent leur fête. Pour eux « et pour vivre » . « La preuve, glisse Bové, que le territoire français peut et doit être reconquis par une autre agriculture pour et par des paysans. » Les visiteurs d’un jour, comme Joël, monté de Millau, insistent sur l’avenir : « Et Montredon dans tout ça ? » « Pas de problème, explique Bové, je reviendrai chaque semaine, j’habite toujours ici. » « Il y a longtemps que nous et le hameau existons par nous-mêmes, le moustachu n’est que l’un d’entre nous » , commente un voisin, légèrement irrité.

Le journal Gardarem lou Larzac continuera donc de paraître ; la librairie, de vendre des bouquins militants et d’annoncer les manifs ; et les paysans, d’élever leurs brebis, même s’ils n’alimentent plus les caves de Roquefort. Parce que, comme les autres sur le plateau, ils ont conquis leur indépendance, appris à se passer des intermédiaires et à vendre directement leurs produits.
Léon Maillé, paysan militant voisin de Montredon, partie prenante de toutes les luttes (qui lui ont valu deux fois la prison), confirme avec le sourire que la vie continue, que tout va bien dans le meilleur des mondes et que les traditions d’entraide se perpétuent. Il le prouve en venant de chez lui, étrennant sa récente retraite, pour réparer la serrure de la maison de Marie, qui gère le gîte rural du hameau. Là où sont entreposées les archives du journal du Larzac. Mieux ! Montredon va devenir « hameau de l’Europe ».

Plutôt que de s’installer à la ville, Béziers ou Montpellier, José Bové et son équipe, deux anciens de la Confédération paysanne, ont décidé symboliquement de faire fonctionner leur permanence européenne ici. Dans une vieille maison en cours de rénovation. Pendant cinq ans, Anne Lacouture, troisième assistante du député, travaillera depuis le hameau. « Ce n’est pas Montredon qui part à Bruxelles, mais l’Europe qui s’installe chez nous, commentent ses habitants, plutôt satisfaits. Les visiteurs de José, les délégations, pourront voir ce qu’est la réalité rurale et paysanne française. Surtout en hiver. Et on pourra leur expliquer comment fonctionne la Société civile des terres du Larzac, qui a également ses bureaux ici. »

Le dernier marché de l’été s’achève comme d’habitude par un concert, près de ces maisons de pierres aux toits de lauze qui ont résisté à tant d’épreuves.

Publié dans le dossier
L'armée du crime : vivre et résister
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