La privatisation en cinq questions

Bien des idées fausses ont été avancées pour justifier le changement de statut et l’ouverture du capital de La Poste. Nous décryptons ici la réalité de l’ouverture de ce service à la concurrence.

Thierry Brun  • 24 septembre 2009 abonné·es

Considérés comme inéluctables, le changement de statut et l’ouverture du capital de La Poste, prévus pour 2010, sont désormais inscrits dans un projet de loi qui a été transmis au Sénat dans le cadre d’une « procédure accélérée ». Une société anonyme sera ainsi créée avec des « capitaux 100 % publics » , affirme le gouvernement. Le projet de loi explique qu’avec l’ouverture totale à la concurrence d’ici au 1er janvier 2011, «  La Poste doit être rapidement en mesure de se déployer à armes égales avec ses concurrents dans ce nouvel environnement » . Or, une grande partie des services postaux sont ouverts à la concurrence depuis 1997, et La Poste est engagée dans une privatisation qui ne dit pas son nom.

Le changement de statut est-il inévitable ?

Le ministre de l’Industrie, Christian Estrosi, affirme que le changement de statut de La Poste est une obligation qui découle de la directive européenne de 1997. Pour rassurer, le Premier ministre, François Fillon, ajoute que « la transformation du statut de La Poste devra pleinement respecter le caractère public de l’entreprise, la poursuite et le renforcement de ses missions de service public et le statut des personnels ». Or, les directives européennes sur l’ouverture à la concurrence des services postaux n’imposent pas un statut aux entreprises. « L’Union européenne n’a aucune compétence en matière de régime de propriété. La privatisation est de compétence nationale », rappellent syndicats et élus de gauche.

Est-ce une privatisation ou non ?

Le gouvernement claironne en effet que le changement de statut ne débouchera pas sur une privatisation de l’entreprise postale. «  Pas de privatisation » , soutenait aussi en 2004 Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Économie, au moment de l’augmentation du capital d’EDF-GDF. Depuis, l’État actionnaire ne possède plus que 35,7 % du groupe GDF-Suez. France Télécom a connu le même sort que GDF, l’État y est désormais un actionnaire minoritaire.
En réalité, le gouvernement a omis de préciser que La Poste fonctionne déjà sur le mode du privé. Depuis plusieurs années, elle a engagé sa transformation en entreprise commerciale et divisé ses activités en quatre branches (courrier, colis et express, banque postale et réseau de bureaux de poste). L’entreprise publique a multiplié ses filiales (291 en 2008), certaines ayant déjà le statut de sociétés anonymes. La Banque postale est par exemple une société anonyme dont le capital est détenu par La Poste. Et la recherche de rentabilité a entraîné la fermeture de nombreux bureaux de poste (voir carte page 17). La Poste a aussi dépensé en 2008 plus de 500 millions d’euros pour l’acquisition de 50 % du capital de l’opérateur espagnol SEUR, et près de 140 millions d’euros pour l’achat des activités françaises du groupe britannique Experian, société de services en ingénierie informatique.

La Poste renforcera-t-elle ses missions de service public ?

Fin juillet, au cours de la présentation du projet de loi postale en Conseil des ministres, Christian Estrosi a rappelé notamment que les «  quatre missions de service public de La Poste que sont le service universel du courrier, l’aménagement du territoire, l’accessibilité bancaire et la distribution de la presse seront confortées par la loi » . Les usagers et les élus ont pu constater qu’il n’en était rien. « Prétendre que le service public postal ne recule pas, au prétexte que le nombre de points de contact est maintenu sur le territoire, est une tromperie pour mieux masquer la forte suppression des bureaux de poste » , soulignent des députés de gauche dans une proposition de résolution demandant une commission d’enquête sur la politique de présence territoriale de La Poste.
Par exemple, les centres de tri sont progressivement fermés et regroupés dans des plates-formes régionales avec comme conséquence d’augmenter les kilomètres parcourus par les agents et les courriers. Et les effectifs de La Poste n’ont cessé d’être réduits : plus de 51 000 emplois ont été supprimés depuis 2002. Les dysfonctionnements sur l’acheminement du courrier ont été révélés au grand jour avec les votes par procuration des élections européennes du 7 juin : «  Des plis, partis de Paris pour la province le jeudi précédant le scrutin, ne sont arrivés à la poste du bureau de vote que le lundi 8 juin » , témoignent des élus.

Que deviennent les bureaux de poste ?

La direction de La Poste justifie régulièrement la continuité d’une présence sur l’ensemble du territoire avec au minimum ce qu’elle appelle 17 000 points de contact. Il reste en fait 10 600 bureaux de poste, dont certains ne sont ouverts qu’une demi-journée ou quelques heures par semaine. Les critères de rentabilité et l’ouverture à la concurrence ont pour conséquence la suppression ou le remplacement de bureaux de poste par des agences postales communales (APC) ou des relais-poste. Ainsi, de nombreuses opérations ne sont plus effectuées par les APC, comme l’envoi en Chronopost, le recours au système de poste restante, les envois en nombre, etc. Les services financiers sont également restreints. De même dans les relais-postes chez les commerçants, les conventions ne garantissent qu’une dizaine d’opérations de base (vente de timbres, retrait de colis, retrait et dépôt d’argent dans la limite de 150 euros par semaine, etc.).

Qu’adviendra-t-il de l’égalité d’accès aux services postaux ?

Phénomène déjà observé dans plusieurs pays européens, la concurrence se positionnant sur le secteur rentable du courrier d’entreprise, La Poste va baisser ses tarifs dans ce secteur et, pour rester rentable, les augmenter pour les envois aux particuliers. Certains élus exigent aussi que soit défini un seuil minimum de bureaux de poste en deçà duquel il ne faut pas descendre sous peine de pénaliser les territoires ruraux et les zones urbaines.
L’Association des maires de France (AMF) s’est inquiétée de l’avenir du Fonds national de péréquation créé pour financer le fonctionnement des agences postales communales et des relais Poste, et verser une indemnité forfaitaire aux collectivités et aux commerçants. « Aucun texte n’en garantit la pérennité » , affirment des élus de gauche qui redoutent « qu’une plainte, déposée par une banque concurrente, ne conduise à mettre en demeure la France de supprimer ce fonds, lequel pourrait être considéré comme une subvention contraire aux règles de la concurrence libre et non faussée. » De même, le maintien d’un service universel n’est pas garanti. Le projet de loi prévoit que La Poste est prestataire de ce service pour une durée de quinze ans. Et après ? Nul ne le sait.

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Ils veulent casser La Poste
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