Les raisons d’un échec

La population rejette la coalition occidentale plus encore que les talibans.

Claude-Marie Vadrot  • 24 septembre 2009 abonné·es
Les raisons d’un échec

Le constat est édifiant. « La Kapisa [une province au nord-est de Kaboul] compte aujourd’hui beaucoup plus d’insurgés qu’il y a cinq ans. » C’est le colonel Francis Chanson, commandant des 740 soldats déployés dans cette région, qui fait cette observation. Un constat qui pourrait être étendu à toutes les régions d’affrontements. Les raisons de cet échec militaire de la coalition sont évidentes. D’abord, deux chiffres. Si les forces occidentales ont enregistré quelque 1 400 morts depuis 2001, ce sont 20 000 Afghans – dans leur immense majorité des civils – qui ont péri sous les bombes. Sans compter les milliers de blessés handicapés à vie. Cela n’est pas le résultat de bavures mais de la stratégie de l’armée américaine, qui bombarde souvent de très haut. Sur le plan politique, la « victoire » électorale d’Hamid Karzai, qui apparaît comme l’homme des Américains, est un autre désastre pour ses « parrains ». Le candidat installé par les Occidentaux a en effet bénéficié d’une fraude massive, attestée par les observateurs de l’Union européenne.

Dans ces conditions, les militaires occidentaux sont rejetés par la population, bien plus encore que les talibans. Ceux-ci progressent, et leur noyautage de l’armée, de la police et des administrations est inexorable depuis au moins trois ans. Une offensive qui prend comme cible symbolique la route qui relie Kaboul à son aéroport. Comme en Irak lorsque, pendant des années, il a été impossible de relier la base aérienne au quartier bunker, dans la « zone verte » du centre de Bagdad, où sont toujours réfugiés les ministères, le Parlement et les ambassades, autrement que par de rares blindés ou des hélicoptères. Un rapport confidentiel, remis il y a deux semaines aux responsables des forces françaises chargées de la défense de Kaboul et au commandement de l’Otan, souligne la similitude des situations. Il explique que les forces occidentales pourraient être confrontées rapidement à l’impossibilité d’assurer la protection d’une route à la fois symbolique et essentielle. Il souligne également que les provinces de Kandahar et de Helmand, dans le sud-est du pays, doivent être considérées comme perdues et gérées de fait par les talibans.

Ce rapport et les comptes rendus de généraux américains, britanniques et canadiens, une fois toutes les informations additionnées, laissent ­en­tendre que la moitié du pays est sous le contrôle des insurgés. Les talibans sont souvent aux commandes, régnant sur la gestion du commerce, des écoles et de la vie publique. Ce que n’avouent que par allusions les notes de synthèse est plus inquiétant encore. Dans plusieurs provinces du sud, de l’est et du nord, des groupes de mercenaires agissant pour le compte des Américains ont commencé à asperger les cultures de pavot avec du Roundup. Ce désherbant, utilisé de la même façon depuis des années pour lutter contre la culture de la coca en Colombie, est vaporisé sur des champs par hélicoptère et surtout par avion, en raison des risques de tirs depuis le sol.

Comme ces opérations de désherbage sont conduites d’assez haut, le Roundup atteint fréquemment les cultures vivrières des paysans et les détruit. Le produit s’accumule dans les points d’eau et empoisonne la faune. Certains puits proches présentent des quantités anormales de glyphosate, la molécule principale du désherbant. D’autant plus que la concentration du liquide dispersé est en moyenne quatre fois supérieure aux préparations agricoles habituelles, celles utilisées pour désherber le maïs ou le soja transgénique. Évidemment, comme en Colombie, les habitants des villages trop souvent « traités », développent des maladies de peau et de l’appareil respiratoire.
Ces mêmes paysans, atteints par l’utilisation répétée du Roundup, se plaignent également que le programme de reconquête agricole, lancé, notamment, pour la plantation de vignes et d’amandiers, ait été abandonné il y a quatre ans. En même temps que la restauration des vieux systèmes d’irrigation par des canaux enterrés, qui évitent l’évaporation.

Ce n’est là que l’une des plaintes des Afghans, qui font de moins en moins la différence entre les actions offensives des différentes armées présentes et « l’aide humanitaire » proposée par les militaires.

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