Rumeur maligne

À travers quelques exemples, une analyse
de Bertrand Delais
sur les mécanismes
du plus vieux média
du monde.

Jean-Claude Renard  • 24 septembre 2009 abonné·es

Février 2009. Une inquiétude agite un marché du XVIIIe arrondissement de Paris : une femme aurait été mordue par un serpent dissimulé dans les bongos achetés à un commerçant asiatique. La rumeur est relayée par le Parisien. Abbeville est un autre cas, en mars 2001, tandis que la ville sombre sous les inondations « pour épargner Paris ! » . Peu importe que l’eau de la Seine puisse ou non alimenter la Somme. Du folklore local, on passe à une information nationale sur le petit écran. À Angoulême, en 2002, la rumeur accuse un prêtre de pédophilie, avant même qu’il ne soit jugé. La presse se met au diapason, surfe sur l’émotion, reprend les termes du magistrat chargé de l’enquête, donne des gages à tout propos. Pour dire juste, le prêtre a le principal défaut d’être homosexuel dans une petite ville de province. Bouc émissaire, il sert d’exutoire (et sera innocenté quatre ans plus tard).

Ce sont là quelques cas évoqués dans ce documentaire de Bertrand Delais, tentant de démonter les fonctionnements de la rumeur, média plusieurs fois séculaire. L’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme…
Par définition, la rumeur est un bruit qui court. Qui se transmet à chaque passage de témoin, par un petit écart de plus, entre le dit, l’entendu et le redit. Contagieuse, elle n’a pas de meilleur relais que lorsqu’elle correspond à ce qui se pense a priori. En somme, une mécanique de la parole pour une vérité en clair-obscur. Foin de raison alors. Née d’un fantasme qui a la chance de trouver des résonances, la rumeur est aussi « une histoire, observe Pascal Froissart, sociologue. Il lui faut des personnages, de l’action, un lieu » . Et de théorie en contre-théorie, la rumeur intervient quand elle est reprise par l’ensemble ou une partie de la société. Rien de tel alors que l’incarnation doublée de notoriété pour lui donner du poids. La théorie du complot, encore récemment évoquée par Mathieu Kassovitz à propos du 11 Septembre, en est un exemple.

Affaire de nature humaine, la rumeur ne manque pas de registres. Quand elle ne vire pas à la calomnie, elle suit parfois une logique marchande. C’est le cas d’une rentrée littéraire, sur « les livres qui vont marcher » , ou à l’occasion du mercato footballistique. Aujourd’hui, Internet joue son rôle de colporteur, « l’information à la portée de tous devenant la désinformation à la portée de tous » , estime Guillaume Brossard, responsable d’un site d’analyse des rumeurs sur Internet. Reste un ingrédient essentiel à la recette : la rumeur ne fonctionne pas sans l’intervention des médias.

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