Un peu de fantaisie dans la tragédie

Avec « les Couteaux dans le dos », Pierre Notte relate le joyeux périple d’une jeune fille souffrante.

Gilles Costaz  • 10 septembre 2009 abonné·es

Six spectacles de Pierre Notte à l’affiche, cette saison, à Paris ! Horripilant pour les malheureux auteurs qui mettent des années à faire jouer une seule de leurs pièces. Réjouissant pour ceux, dont nous sommes, qui aiment cet écrivain. Et c’est la preuve que le théâtre contemporain sait trouver sa place dans un contexte moins replié sur les valeurs sûres qu’il ne l’était ces derniers temps. Le cycle Pierre Notte se déroule, pour cinq des spectacles, aux Déchargeurs, et, pour le sixième (un cabaret que Notte et sa sœur Marie jouent eux-mêmes), au ­théâtre du Rond-Point. Restons-en à la pièce inaugurale, les Couteaux dans le dos , une nouveauté dont l’auteur est le metteur en scène.

Le titre évoque le danger, la blessure, la mutilation, la mort. Mais Notte danse toujours sur le tranchant d’une lame. Il suggère ou accuse les souffrances de ses personnages mais il blague, il rit, il décale. C’est comme un jeu de marelle où l’on saute d’une case à l’autre, avec la possibilité de revenir en arrière et de rattraper un carré qu’on aurait manqué. Douloureux et facétieux, tel est Pierre Notte, qui nous conte avant tout le destin de Marie, jeune fille malheureuse dans sa famille, toujours effrayée à l’idée que quelqu’un puisse la toucher. Autour d’elle, il y a ses parents et le fantôme compatissant d’une grand-mère morte. Elle finit par partir, après s’être volontairement coupé à la main. Son voyage l’amène auprès de gens étranges : des « gardiennes solitaires de péage » (elles la traitent mal alors qu’elle réclame de quoi coudre pour fermer sa blessure), une « grande couseuse » et des « trollettes » qui vont la soigner, des commentateurs sportifs… Le périple l’emmène en Scandinavie, où, en compagnie d’un gardien de phare également blessé, elle connaît l’amour et la mort.

Cette histoire sombre est une tragédie fantaisiste. La pièce saigne mais fait rire constamment. Notte opère des exercices de dérapage pour qu’on glisse avec lui dans une gigue sur un sol glacé. Il s’amuse d’autant plus qu’il truffe le dialogue d’interventions de personnages de fiction (Médée, Ophélie) et de citations – Godard, Bergman, Ibsen… D’ailleurs, sa mise en scène a quelque chose d’un faux Bergman en noir et blanc. Tout est dans l’obscurité. Il n’y a que des actrices, qui, pour certaines, changent de rôle et de sexe à volonté. Elles sont en déséquilibre, théâtralisent ou miniaturisent le texte, passant de la solennité trompeuse du cabaret à la vérité nue surgissant par éclairs.
Elles sont toutes remarquables, ces cinq interprètes, Jennifer Decker, Manon Heugel, Marie Notte, Caroline Marchetti et Flavie Fontaine, icônes qui savent tout à coup briser la glace, hausser le ton, casser l’image. On pourra être désorienté par ce ­théâtre qui traite de nos vies mais finit toujours – peur, pudeur, réflexe culturel ? –par se replier sur le théâtre et ses références. Mais c’est un ­théâtre d’échos qui viennent jouer un jeu complexe avec nos sensibilités.

Culture
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