Autopsie de la barbarie

Dans un village allemand de 1913, Michael Haneke enquête sur les origines de la perversion.
Mais « Le Ruban blanc »
ne va pas au bout
du raisonnement.

Ingrid Merckx  • 22 octobre 2009 abonné·es

Il y a du Dogville dans ce Ruban blanc , du Lars Von Trier dans le dernier film de Michael Haneke. En tout cas, une même fascination pour la barbarie chez le Danois et l’Autrichien. Et la même volonté d’en passer par un dispositif pour la disséquer. Lars Von Trier utilisait un plateau noir avec des maisons tracées à la craie. Michael Haneke campe un village propret dans la rase campagne allemande de 1913. Unité de lieu, nombre restreint de personnages, voix off pour animer ce nouveau petit théâtre de la cruauté.
Le drame démarre avec un accident : un câble tendu entre deux arbres fait choir la monture du docteur lancée au grand galop. Le cheval succombe tandis que le cavalier est expédié à l’hôpital. Premier événement d’une tragique série qui laisse penser à un rituel punitif orchestré par de mystérieux coupables sur certains habitants. Et qui fait porter le maximum des coups sur des enfants. Le récit est tenu par l’instituteur de 31 ans, ­piètre enquêteur mais bon intermédiaire entre les deux générations.
L’histoire se tenant à la veille de l’attentat de Sarajevo, le lien avec la montée du nazisme en Allemagne est téléphoné. Rien de complètement évident pourtant. Ce qui frappe ce village pourrait frapper n’importe quel village du monde. Si le  Ruban blanc est une parabole politique – et non pas morale –, c’est, à la rigueur, de la poussée totalitaire. Car sa volonté très didactique de remonter aux racines du mal ne parle pas tant de l’Allemagne nazie que de la manière dont l’oppression engendre de l’inhumanité. En revanche, le cinéaste y règle clairement des comptes avec une éducation protestante violemment répressive. Mais de là à dire qu’Hitler fut forgé par les excès d’un pasteur…

Que démontre ce film, en fait, si ce n’est que les souffrances infligées par les adultes aux enfants – les forts aux faibles – déshumanisent ? «  C’est Freud ou Marx pour les nuls » , aurait raillé une partie du public du Festival de Cannes, où le film a remporté la Palme d’or, décernée par la ­présidente du jury, Isabelle Huppert, actrice fétiche de Michael Haneke.
Ce qui intrigue dans le Ruban blanc , c’est l’irréalisme du village, de ses habitants et de la nature environnante : un noir et blanc terriblement soigné caresse des visages, des vêtements, des cours et des paysages étonnamment beaux et propres. Tout au plus entendra-t-on voler quelques mouches dans cet océan de pureté. Un bac devant servir de révélateur à la perversion ? Le plus étrange dans ce Cluedo filmé sans recul reste ce que le cinéaste choisit de montrer : il évite d’abord le sang, la vue des coups, les sexes (sauf celui d’une morte, filmée de profil, le buste hors champ)… Puis, finalement, il contemple un pendu pendouillant dans une grange et soulève brutalement une cagoule noire sur un visage d’enfant gravement blessé aux yeux. Comme cet enfant est le petit handicapé du village, soit le plus fragile et le plus doux de la communauté, ce plan est insoutenable. Exit jusqu’à la prétendue pureté de l’image. L’innocent gémit. On saura plus tard qu’il risque de perdre la vue. Cette métaphore est claire, mais c’est la seule : as de la mise en scène, Haneke ne va pas au bout de ce qu’il soulève. Excepté dans cette très belle scène où un petit garçon de 4 ans ­découvre l’idée de la mort. Et encaisse.

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