Déclaration de paix

Avec « l’Arme
de paix », le rappeur Oxmo Puccino propose des textes d’une grande personnalité et une formule musicale parfaite.

Éric Tandy  • 8 octobre 2009 abonné·es
Déclaration de paix
© L’Arme de paix, Cinq7/Wagram. En tournée : du 13 octobre 2009 (festival Nancy Jazz Pulsations) au 10 avril 2010 (les Ulis).

Pour réellement s’intéresser à Oxmo Puccino, rappeur parisien d’origine malienne ayant connu ses premiers succès en 1998, et qui, depuis, ne cesse d’évoluer artistiquement, il faut s’immerger dans les textes de son dernier album, l’Arme de paix . Outre leur densité, c’est leur personnalité qui impressionne. Car ils passent allégrement du descriptif à l’abstrait, en utilisant parfois des phrases habiles ( « On cherche les ficelles, tire sur la corde » , dans « Soleil du Nord » ) dignes des meilleures rencontres entre Alain Bashung et Boris Bergman. Mais cela ne tourne jamais à la formule obligée, comme sur beaucoup d’autres disques de hip-hop.
Oxmo Puccino raconte bien les choses, que ce soit un combat de boxe (« L’un de nous deux ») ou une virée en Hollande (« Sur la route d’Amsterdam »), il sait parfaitement installer un climat et les personnages qui vont avec. Et puis, derrière le débit vocal et les images qui s’enchaînent (mais aussi des réflexions sensées sur l’éducation, par exemple), il y a de la musique réellement jouée. Pas un DJ qui « fait du son » avec ses échantillons, mais des musiciens qui swinguent. Des guitares, une batterie, une basse aux tons jazzy ou funky. La formule musicale parfaite pour faire rebondir des mots qui en valent vraiment la peine.

Politis : Vos textes sont complexes. Ils mélangent impressions personnelles et descriptions imagées…

Oxmo Puccino / Cette complexité vient de mes débuts, quand je cherchais uniquement à faire ressentir un état d’esprit sans me soucier de communiquer de façon concrète. Puis, avec le temps et l’envie de m’ouvrir aux autres, j’en suis venu à dire les choses de manière plus directe. Avant d’écrire, je dessinais. Donc, pour moi, écrire c’est forcément dessiner.
Faire un texte de chanson, c’est comme assembler les pièces d’un puzzle jusqu’à ce qu’elles collent ensemble de façon cohérente. C’est un petit jeu que je fais, tout en sachant que le résultat ne sera pas forcément compris par tout le monde ; mais ceux qui le comprendront partageront ­forcément quelque chose de particulier avec moi. La relation est donc différente de celle entretenue avec des personnes qui ne connaissent que deux ou trois de mes chansons. Il m’arrive aussi d’être dépassé par l’interprétation que l’on fait de mes textes. Certains y voient – en étant d’ailleurs dans le vrai – des choses que je n’avais pas forcément décryptées au départ.

Dans « L’un de nous deux », vous parlez très bien
de la boxe. C’est à la fois cinématographique et ressenti.

C’est un exemple de sujet qui m’a dépassé. Au départ, j’étais parti pour écrire sur la boxe, que j’ai pratiquée et étudiée. Au final, je me suis retrouvé à parler du combat d’un homme contre la vie ou contre lui-même. De toutes ces choses qui ­peuvent à la fois détruire et construire. Mais je n’oublie pas que la boxe a été le premier sport des opprimés, c’était le vrai reflet d’une époque et d’une situation précise, bien avant la musique et le cinéma.

La boxe, le hip-hop, certains films ou polars (on vous sait lecteur de Chester Himes) : comme beaucoup de rappeurs, vous semblez fasciné par les États-Unis.

Parce que le rap y est né, je suis forcément attiré par les États-Unis, mais sans éprouver de fascination pour ce pays. On ne peut pas idolâtrer un endroit où la vente libre des armes est associée à l’idée de liberté, et où les condamnations à mort sont courantes. Certains rappeurs d’ici se trompent en fantasmant autant sur les États-Unis. Ils sont aveuglés par une certaine image, car ils ne savent peut-être pas ce qu’elle cache.

Ce qui vous caractérise aussi, c’est votre intérêt pour le jazz.

Le jazz m’a fait avancer artistiquement. C’est grâce à cette musique, pas forcément facile à aborder, que j’ai commencé à travailler avec des musiciens et non plus avec des DJ. Quand j’ai découvert le morceau « Alabama » de John Coltrane, qui évoquait la mort de fillettes noires lors d’un attentat dans le sud des États-Unis, j’ai compris que la musique instrumentale pouvait parfois parler autant qu’un texte.

C’est important pour vous d’enregistrer avec des musiciens jouant de « vrais » instruments ?

Au début, historiquement, c’était bien sûr le manque de moyens qui faisait qu’un rappeur bossait avec un DJ. Depuis, les technologies musicales ont évolué ; et dans le monde du hip-hop, beaucoup composent désormais avec un ordinateur. Personnellement, je pense que l’on peut faire mieux en travaillant avec un guitariste. C’est d’ailleurs la bonne façon pour que le rap aille de l’avant et ne s’enferme plus dans ses clichés.

Né au Mali, vous êtes arrivé
à Paris à l’âge d’un an, mais vous n’avez jamais pu obtenir la nationalité française.

En fait, je suis plutôt fier d’avoir des papiers maliens. Même si, à cause de cela, j’ai été sérieusement ennuyé quand je voyageais dans certains pays comme les États-Unis. Mon frère, qui avait la nationalité française, passait la douane normalement, alors que pour moi les choses étaient nettement plus compliquées. Plusieurs fois, on m’a d’ailleurs refusé un visa sans ­raison, ce qui m’a évidemment fait réfléchir sur les conséquences pratiques de la politique.
Aujourd’hui, je n’ai pas renoncé à avoir la nationalité française, j’ai juste temporairement abandonné les démarches. À l’époque de ma demande, j’ai vraiment compris comment les étrangers étaient considérés en France. Ce qui, en fait, est curieux, car je ne suis pas étranger…

Quand vous reprenez, dans « Soleil du Nord », les paroles d’Aznavour, « Il me semble que la misère serait moins pénible au soleil », à qui vous adressez-vous ?

C’est en effet un clin d’œil à Charles Aznavour [et à sa chanson « Emmenez-moi », NDRL]. Ça évoque le mirage perpétuel et ceux qui pensent continuellement à ce qu’ils n’ont pas en oubliant ce qu’ils ont. Cela s’adresse évidemment aux habitants des endroits pauvres, qui croient, sans tenir compte des réalités – comme la solitude de l’éloignement –, que, dans les pays industriels, l’argent coule à flots et que l’on trouve du travail facilement. Mais c’est aussi destiné aux gens des pays riches qui veulent aller dans des régions ensoleillées sans chercher à s’informer sur la paupérisation de la population locale. C’est la même erreur des deux côtés.

Pensez-vous qu’avoir grandi
à Paris, dans le XIXe arrondissement, a influé sur votre manière d’aborder le rap ?

Cela a même été déterminant ! Descendre de chez soi et croiser une population mélangée, cela apporte forcément beaucoup culturellement. Et puis, à Paris, il faut rarement marcher plus de 500 mètres pour trouver une bibliothèque. D’ailleurs, si les banlieues n’avaient pas été cloisonnées comme elles le sont, les choses s’y passeraient autrement. L’énergie qui s’en dégage aurait pu non seulement aplanir les inégalités, mais elle aurait pu aussi enrichir le pays dans son ensemble.

Culture
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