L’accidenté, une vache à lait ?

L’UMP veut déposer un amendement créant une taxation des indemnités pour accident de travail. Très contesté, le projet rouvre en outre l’épineux dossier de la prévention et de la gestion des risques au travail.

Thierry Brun  • 22 octobre 2009 abonné·es
L’accidenté, une vache à lait ?

Voilà encore un dossier empoisonné qui fait grincer des dents dans les rangs de la majorité. Jean-François Copé, le patron des députés UMP à l’Assemblée nationale, a eu la riche idée de proposer il y a quelques semaines la fiscalisation des indemnités journalières des accidentés du travail. Depuis, le rejet suscité par cette proposition n’a cessé de grandir.
Le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a émis un avis négatif. Et la contestation a désormais dépassé le seul champ des organisations de gauche. Le puissant Medef de Laurence Parisot est lui aussi un adversaire de l’initiative UMP : une taxation des accidentés du travail rouvrirait la boîte de Pandore de la prévention et de la gestion des risques au travail, et le Medef n’y tient guère.

Les dirigeants de l’UMP espèrent pourtant encore que cette nouvelle taxe (proposée lors des états généraux de la dépense publique organisés par les députés UMP en mars dernier) connaîtra un sort ­favorable. Elle est présentée comme une « mesure de justice » parce que toutes les indemnités journalières et rentes servies par la Sécurité sociale sont soumises à l’impôt sur le revenu. Ainsi, en accord avec le ministre du Budget, Éric Woerth, et avec le soutien affirmé de Nicolas Sarkozy, le président du groupe UMP devait déposer un amendement au projet de loi de finances actuellement en débat pour que les indemnités journalières versées par la Sécurité sociale aux salariés victimes d’accidents du travail soient effectivement soumises à l’impôt dès 2010.

Mais, ces dernières semaines, comme on l’a vu, cette mesure a suscité beaucoup d’émoi, au point que les représentants des groupes du Cese, consultés par le président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer, lui ont adressé le 13 octobre un courrier soulignant que cette mesure « est susceptible d’entraîner une détérioration du climat social, disproportionnée au regard de son avantage budgétaire ».
Les partis de gauche et leurs députés sont en effet vent debout contre cet amendement et ont signé, avec la plupart des organisations syndicales et quelques universitaires, un bref et percutant appel lancé par la Fondation Copernic.

« Il y a quelque chose d’obscène dans la mesure annoncée qui vise à taxer les indemnités des accidentés du travail » , pointent les signataires, qui ajoutent que ces victimes sont déjà « frappées par les franchises médicales et les déremboursements » . Et ils appellent « à la mobilisation pour réagir, alerter, rassembler toutes celles et tous ceux qui sont scandalisés, de façon à faire reculer, catégoriquement, cette mesure inique, intolérable, inhumaine ».

De son côté, la Fédération des accidentés de la vie (Fnath, 200 000 adhérents), elle aussi très remontée, a expliqué dans son appel que « l’UMP vient en fait d’inventer la triple peine. Il y a d’abord le traumatisme lié à l’accident, la diminution physique, la souffrance psychologique et morale. Il y a ensuite la diminution des revenus, car les accidentés sont indemnisés 60 % les 28 premiers jours, puis à 80 %. Et voilà maintenant que, sur ces indemnités, il est prévu de faire payer une nouvelle taxe » . Pour un bénéfice attendu plutôt modeste, puisqu’il serait de 150 millions d’euros.

Surtout, sur fond de suicides et de stress au travail, l’initiative de l’UMP remet sur le devant de la scène le ­dossier brûlant de la gestion de la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) de la Sécurité sociale, avec des négociations au point mort entre partenaires sociaux sur la réforme de la médecine du travail. « Cette mesure risque de compromettre des avancées nécessaires dans la concertation entre partenaires sociaux sur la pénibilité et sur la prévention des accidents du travail, alors que le stress au travail devient un élément de plus en plus prégnant parmi les salariés », prévient le Cese.

Et le Medef veut à tout prix éviter un débat autour du financement des accidents du travail. « Si elle était adoptée, [la mesure] devrait entraîner une forte contribution des entreprises à la branche accidents du travail et des maladies professionnelles [AT-MP] » , relève la Fnath dans un courrier adressé à Laurence Parisot. Le gouvernement a déjà chiffré le coût de cette contribution patronale dans la loi de finances pour 2008. « La suppression de cette dépense fiscale devrait être compensée par une augmentation des dépenses de la branche AT-MP de plus de 6 % » et, cette branche étant financée par les cotisations des employeurs, « une augmentation de 10 % de ces dernières serait alors requise ».

Or, souligne la Fondation Copernic, « le total des accidents du travail vient d’augmenter de 0,4 % depuis deux ans » , et « les suicides à cause du travail, et pas seulement à France Télécom, sont loin d’être tous reconnus légalement comme des accidents. Il y a 2 morts par jour au travail dans le seul secteur privé, 16 % de plus entre 2006 et 2008 » . Et de conclure : « Ce sont des ­chiffres ? Non, ce sont des vies. Des dizaines de milliers de vies que l’organisation du travail brise. »
Impopulaire, cette mesure pourrait bien inciter Jean-François Copé à revoir sa copie, mais pas au point d’entraîner une remise à plat des questions de santé au travail.

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