L’empire du mall

Hélène Klodawsky
et Olivier Montoro font
la tournée des centres commerciaux démesurés qui colonisent l’espace social.

Jean-Claude Renard  • 8 octobre 2009 abonné·es

Au cœur des grandes villes et à leur périphérie, ce sont des univers clos. Des paradis ­climatisés tournés vers la flânerie et l’achat. Ce sont les malls. On y marche, on y dépense, on s’y croise et rencontre. Il existe aujourd’hui 20 000 centres commerciaux aux États-Unis, avec un montant de ventes (en 2005) d’un trillion et 537 milliards de dollars. Des ruches commerciales qui ne sont qu’à leur début de conquête. La constellation de projets s’annonce « magnifique ». En Asie, en Europe, en Amérique du Nord. À Edmonton, au Canada, le mall s’étend déjà sur 48 hectares. À Dubaï, le prochain, imaginé par l’architecte américain Eric Kuhne, sera plus grand que 370 terrains de football, avec 100 000 m2 de cafés, de boutiques, de bureaux.

La France n’est pas en reste, avec 8 millions de m2 en projet. Chaque mall s’accompagne de chiffres vertigineux et d’un langage universel : la marchandise. Une marchandise bien emballée : dans la course au gigantisme, le design est essentiel. Tout est pensé, de l’air à la température jusqu’à la suppression des portes, signifiant un seuil de moins à franchir pour un acte d’achat de plus. La symbolique religieuse est omniprésente, avec notamment le thème de l’eau, lié à la purification, à l’instar de la lumière, toujours éblouissante, tandis que les arbres sont une promesse de sécurité. Des simulacres pour faire consommer.

Hélène Klodawsky et Olivier Montoro ont multiplié les lieux et les acteurs (architectes, concepteurs, développeurs), après avoir évoqué le fondateur de ces espaces : l’architecte socialiste autrichien Victor Gruen, fuyant le nazisme, percevant ces ­centres comme des lieux de vie, cherchant à recréer l’atmosphère des rues piétonnes bordées de cafés. Ranimer du lien social. On ne peut guère davantage se tromper devant le tableau déshumanisé. Mais peu importe pour les concepteurs, jamais avares de cynisme, gouvernés par un mot d’ordre : plus de distractions pour plus d’achats. Plus les gens restent, plus ils dépensent. D’où le nombre d’aires de loisirs sur place.
Dans cet esprit, la perspective d’ouvrir partout les magasins le dimanche est une aubaine de plus. Une aubaine qui s’ajoute à une autre, le phénomène vert. Aujourd’hui, l’édification d’un mall écologique au cœur de la forêt canadienne, à deux encablures de Montréal, en est un exemple : un complexe commercial de pointe conçu « en harmonie avec son environnement » . Pour ça, les architectes ont commencé par faire abattre les arbres avant de créer leurs univers artificiels, au nom de la nature.

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