Sarkozy exproprie la démocratie locale

Le projet de loi du Grand Paris instaure un régime d’exception pour adapter encore plus la Région Île-de-France à la mondialisation libérale. Un véritable passage en force.

Michel Soudais  • 15 octobre 2009 abonné·es
Sarkozy exproprie la démocratie locale

Le Figaro ne s’y est pas trompé. Le Grand Paris, dont le projet de loi a été adopté en conseil des ministres le 8 octobre, est « le projet emblématique du quinquennat » . « La pyramide du Louvre de Nicolas Sarkozy » ou son « musée des Arts premiers » , comme le dit son entourage. À un détail près, qui montre que les hommes de l’Élysée peuvent faire preuve de modestie quand il faut rassurer le bon peuple. Contrairement aux grands chantiers de François Mitterrand et de Jacques Chirac, le plan de charge du projet pharaonique du Nicolas-Ier court sur au moins deux décennies.
Ils savent aussi parer une construction architecturale des plus beaux atours : « Aujourd’hui, retisser le lien entre la capitale et ses banlieues est un devoir d’intérêt national, beaucoup plus salutaire qu’un énième musée, sur l’île Séguin ou ailleurs » , explique un conseiller élyséen. Il s’agit surtout de faire voter une loi qui permette « à l’État d’imposer ses choix face aux élus ». Des choix qui visent moins à organiser la cité en fonction des besoins de ceux qui y vivent, y travaillent et s’y distraient, qu’à satisfaire les ­desiderata des grandes entreprises : « L’ambition [est] de redonner à la Région capitale sa place prééminente dans la compétition à laquelle se livrent les grandes métropoles » , a expliqué le secrétaire d’État, Christian Blanc, lors de la présentation, en conseil des ministres, du projet. Celui-ci, transmis au Parlement pour un examen au Sénat dès le mois de novembre, porte sur l’aménagement de la Région parisienne. Il comporte quatre volets.

Le premier consiste à créer en dix ans, grâce à dix tunneliers qui travailleraient en même temps, une double boucle de métro automatique de 130 km de long, prévoyant une quarantaine de gares, reliant sept « territoires de projet », dont les deux grands aéroports, et raccordée au réseau existant. Grâce à ce nouveau réseau, qui permettra d’aller de Saclay à Roissy en 30 minutes, M. Blanc compte doubler en dix ans le rythme de croissance de la Région Île-de-France et créer 800 000 emplois en quinze ans. Selon l’exposé des motifs, il s’agit de « libérer les potentiels de la Région capitale pour répondre aux défis du XXIe siècle et contribuer, par un effet d’entraînement, au développement économique et social du pays tout entier ».

Le second volet du projet met le paquet sur des pôles d’excellence excentrés : La Défense, bien sûr, plus que jamais conforté dans son rôle de pôle financier et de services ; au nord de la capitale, Pleyel deviendrait un pôle mondial de création (mode, musique, cinéma, télévision) ; Le Bourget, deuxième aéroport d’affaires du monde ; Roissy, avec le développement des capacités d’accueil du centre de congrès et du parc des expositions de Villepinte ; à l’Est autour de Noisy-le-Grand, une zone consacrée au ­développement durable ; autour d’Orly, de Villejuif à Évry, il s’agit de fédérer des centres de recherche en pharmacie ; Saclay, enfin, promis à devenir une « Silicon Valley » à la française organisée par un établissement public spécifique « Paris-Saclay », doté de compétences étendues et dérogatoires.
Le troisième vise à confier tous ces aménagements à une « Société du Grand Paris » (SGP), où l’État serait tout-puissant. Cet établissement public dirigé par un directoire de trois personnes contrôlées par un conseil de surveillance, « constitué de représentants de l’État, de la Région et des départements d’Île-de-France » , les représentants de l’État y étant majoritaires, «  a pour mission principale de concevoir et d’élaborer » le schéma de transport et « d’en assurer la réalisation ».

Quatrième et dernier volet du projet : la SGP aurait la capacité de préempter ou exproprier tout terrain privé ou public indispensable à la réalisation du projet. Et cela particulièrement autour des gares. M. Blanc prévoyait alors pour l’État un droit de préemption dans un rayon de 1,5 km autour d’elles, avant de parler de terrains de 400 à 500 hectares en moyenne, soit deux fois la surface de Paris !
Ce dernier droit, combiné à une accélération des procédures de concertation et d’enquêtes publiques, est le plus contesté. Et par des élus de tous bords qui le vivent comme un dessaisissement et une recentralisation. Pour le socialiste Jean-Marie Le Guen, le droit de préemption est un « véritable hold-up » . Inspiré d’une « logique étatiste » , les ultimes arbitrages interministériels renforcent « la logique totale d’expropriation des collectivités locales » , s’insurge le député de Paris. Le XIIIe arrondissement, dont il est élu, doit accueillir une future gare dans le prolongement de la ligne 14, du côté de Maison-Blanche. Suivant le périmètre retenu pour appliquer le droit de préemption de la SGP, les élus locaux perdent le contrôle de l’urbanisme sur une surface comprise entre le quart et la moitié de l’arrondissement.

« Le droit de préemption » est « un sujet majeur » , souligne également Jean-François Copé. Le président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, qui est également maire de Meaux (Seine-et-Marne), comprend « qu’il y ait des contraintes en matière foncière, qu’il faut surmonter » . Mais il entend bien rappeler lors des débats législatifs « que les maires doivent être responsables de leur territoire ».

Plus largement, l’État, en récupérant via une société écran l’essentiel des compétences des collectivités locales, « instaure un véritable régime d’exception sur de vastes espaces franciliens, dont les plus attractifs », proteste Jacqueline Fraysse, députée PCF de Nanterre, pour qui l’extension par décret du périmètre d’aménagement de La Défense, confié à Jean Sarkozy, préfigure la reprise en main centralisatrice et étatique du Grand Paris.
À travers la remise en cause des compétences des élus, le projet de loi sur le Grand Paris opère une expropriation fiscale et citoyenne. Car l’État, non content de faire main basse sur les terrains autour des futures gares, « envisage également de s’approprier une partie de la valorisation financière des territoires concernés » , note Pierre Mansat, adjoint PCF au maire de Paris, chargé de Paris-Métropole, un forum d’élus locaux qui cherche à créer un dialogue non partisan. Un appartement à proximité d’une gare se vend beaucoup plus cher qu’un autre, éloigné. Le projet de Christian Blanc compte bien sur ces plus-values pour financer en partie l’immense chantier des transports, dont le coût est estimé à 25 milliards d’euros. Jusqu’ici, les communes récupèrent une partie des ventes, via les droits de mutation. À l’avenir, la gauche craint que cet argent n’aille dans les caisses de l’État.

Appuyer le financement du projet sur la valorisation foncière revient en outre à programmer une hausse du prix de l’immobilier qui accentuera inévitablement les difficultés de logement que connaissent déjà les populations ne disposant pas de hauts revenus. Cette dimension humaine constitue l’un des points aveugles d’un projet qui, en accentuant la spécialisation des espaces, zones dortoirs d’un côté, concentration d’emplois d’un autre, risque fort d’être aussi désastreux pour l’environnement. La « logique des pôles de compétitivité va accentuer la catastrophe écologique » , prédit Alexis Corbière, conseiller de Paris du Parti de gauche.
Le grand chantier de Nicolas Sarkozy n’ayant d’autres objectifs que d’adapter encore plus la région Île-de-France à la mondialisation libérale, il n’est pas surprenant qu’il ne tienne compte ni des hommes ni de l’environnement, et s’affranchisse des règles et procédures de la démocratie locale.

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