« Une atteinte aux droits des détenus »

Si elle maintient finalement le principe de l’encellulement individuel, la loi pénitentiaire instaure des régimes de détention différenciés. Les réactions d’Hugues de Suremain, juriste à l’Observatoire international des prisons.

Laurence Texier  • 15 octobre 2009 abonné·es
« Une atteinte aux droits des détenus »

Politis : Qu’est-ce qui préside à l’idée des régimes différenciés ?

Hugues de Suremain / Au milieu des années 1970, les centres de détention, réservés aux personnes condamnées à des peines supérieures à un an, étaient conçus pour être tournés vers l’extérieur. Comme un sas qui avait vocation à préparer la sortie. Dans cette optique, les portes étaient ouvertes en journée. Le prisonnier pouvait se déplacer dans son secteur de détention, faire du sport ou prendre sa douche quand il voulait, avoir un semblant de vie sociale, inviter des codétenus dans sa cellule pour prendre le café, rompre le jeûne du ramadan, partager le repas de Noël… Rien à voir donc avec les maisons d’arrêt, bien plus restrictives, qui concentrent pêle-mêle les personnes en attente de jugement et les condamnations à moins d’un an. En 2001, pour faire face à l’afflux de détenus, un système de portes fermées a été mis en place dans les ­centres de détention. Différents régimes se sont mis alors à coexister. Le système consistait à mettre les « emmerdeurs » dans un coin, en les soumettant à un régime défavorable. L’organisation pénitentiaire a pensé qu’elle pouvait, dans ces conditions, fonctionner avec un taux d’occupation d’environ 200 %. Peu à peu, a émergé l’idée que la mission des personnels pénitentiaires était de dresser le tableau de la personnalité du détenu. L’administration pensait ainsi prévenir tout type de dysfonctionnements et de scandales : suicides, évasions et violences entre détenus. Ce sont ces observations qui débouchent sur les régimes différenciés. Finalement, l’objet unique de cette loi, c’est que le législateur vienne entériner cette différence de traitement déjà mise en place, et qui demeure une atteinte fondamentale aux droits des détenus.

Quels sont les dangers d’un tel système ?

Il permet d’isoler les détenus dont le comportement pose problème ou ceux dont l’administration pénitentiaire ne sait que faire. Tel est notamment le cas pour les longues peines. C’est une sorte de frigo dans le frigo, qui encourage la ségrégation et prive de toute autonomie. Cela se reporte sur l’accès aux activités et au travail. Ces détenus se retrouvent dans une situation matérielle très défavo­rable, alors que ce sont eux qui ont le plus besoin d’être stimulés et ramenés dans un mode de fonctionnement normal. Ils sont en outre mal vus par le personnel, ce qui influence les appréciations sur leur compte dans le cadre des procédures d’aménagement de peine. Ils ont plus de mal à donner des gages de réinsertion et se retrouvent ainsi plus longtemps en détention.

Ce système est-il appliqué dans certains pays ?

En Angleterre et aux États-Unis, notamment. Dans certains pays ayant appliqué le système des régimes différenciés, on commence à remettre en cause la pertinence de ce dispositif. Il a conduit à concentrer les gens qui ont des difficultés ou qui sont en opposition avec l’administration. Avec une escalade symétrique de la violence qui fait que, plus l’institution frappe dur, plus les réactions sont dures.

La loi pénitentiaire présente-t-elle d’autres points passés plus ou moins inaperçus ?

Il existe plusieurs points extrêmement problématiques. D’abord, le contrôle que se ménage l’administration pénitentiaire sur l’entrée des publications en détention. Elle pourra décider d’une retenue si elle considère que certains propos sont outrageants ou diffamatoires pour les personnels. Il sera par exemple possible d’exercer une censure sur les publications de l’Observatoire international des prisons, lorsqu’on rapporte les propos du contrôleur général ou les avis de la Commission internationale de déontologie et de la sécurité. Le risque de verrouillage est assez important.
Le fait que la loi prévoit l’instauration d’un code de déontologie du service public pénitentiaire est tout aussi inquiétant. Normalement, les codes de déontologie se font par profession. Là, il concerne l’ensemble des fonctionnaires qui travaillent au sein de l’établissement pénitentiaire. Le risque – et le rêve le plus évident de l’administration pénitentiaire –c’est de museler tout le monde. De faire en sorte que les médecins et tous ceux qui interviennent en taule se taisent. Or, ce qui permet à la prison d’être un peu ouverte sur l’extérieur, c’est justement la parole qui est portée sur ce qui s’y passe. Si les gens ne disent rien parce qu’ils risquent de se faire virer, l’administration pénitentiaire ne pourra plus ­pré­tendre que la prison s’ouvre sur l’extérieur. Des gens entreront bien à l’intérieur, mais ils seront soumis à la même chape de plomb que les personnels pénitentiaires.

Société
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