Une élection sans conviction

Corbeil-Essonnes revient aux urnes pour élire son maire, après l’invalidation des dernières municipales. Aux Tarterêts, quartier sensible, les militants ont dû mal à mobiliser les citoyens.

Mathilde Azerot  • 1 octobre 2009 abonné·es
Une élection sans conviction

La ville n’en finit pas d’être en campagne. En ce samedi de septembre, jour de marché aux Tarterêts, l’un des trois grands ensembles de Corbeil-Essonnes, les stands des huit listes en lice dans la course à l’hôtel de ville sont alignés en rang d’oignons sur le trottoir. Car la sous-préfecture de l’Essonne n’a toujours pas de maire, à la suite de l’invalidation en juin dernier par le Conseil d’État des élections municipales de mars 2008, et la condamnation à un an d’inéligibilité du maire sortant, Serge Dassault (pour achat de voix). Une semaine avant le premier tour, qui s’est tenu dimanche dernier [^2], les habitants prennent les tracts sans les lire et évitent les militants. Situés au nord-ouest de Corbeil, les Tarterêts comptent près de 9 000 habitants, pas loin du quart de la population communale. 40 % ont moins de 20 ans. Classé en zone urbaine sensible, le quartier est emblématique de la banlieue populaire parisienne avec un taux de chômage qui dépasse 30 %, et une population active à 88 % ouvrière ou employée – contre moins de 40 % pour l’ensemble de la ville [^3].

Sandrine Kinkela connaît tout le monde ici. Voilà vingt ans qu’elle habite les Tarterêts. La jeune femme, âgée de 25 ans, est en quatrième position sur la liste Corbeil-Écologie. Son père, José Kinkela, milite, lui, pour la liste de Michel Nouaille, qui regroupe le parti communiste (PC), le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) et Lutte ouvrière (LO). Née en France de parents originaires de la République démocratique du Congo, Sandrine possède un master en sciences de l’éducation et travaille dans une résidence sociale à Boulogne. La famille Kinkela est une institution aux Tarterêts. Père et fille croient tous deux aux valeurs « de gauche » contre le libéralisme économique. Entre les étals de vêtements et de produits cosmétiques, un homme s’arrête pour discuter avec Sandrine, qui tente de lui donner le programme écolo. « Il a dit que ni les Noirs ni les Arabes ne sont représentés, rapporte Sandrine. Il ne vote pas parce qu’il n’y aura jamais, selon lui, de président qui s’appelle Mohammed. »

L’agitation coutumière du marché et celle des militants, recollant inlassablement les affiches déchirées par leurs adversaires, pourraient faire croire à une ébullition générale. En réalité, il existe ici un réel désintérêt pour la politique. « On a vu des Bengalis qui tractaient pour Jean-Pierre Bechter [candidat de l’UMP soutenu par Serge Dassault, NDLR], se désole Cécile Cordina, également sur la liste verte, ils nous ont dit qu’ils étaient payés au noir, 25 euros les 1 000 tracts. » Didier Rouffignac, sur la même liste, ajoute : « Des militants d’une des deux listes communautaires nous ont carrément déclaré qu’ils payaient des Roms pour afficher et tracter. » La politique est en mal d’adeptes.
Dans la soirée, Sandrine organise une réunion chez elle, au cœur du quartier rebaptisé « le zoo » par les jeunes. Jacques Picard, le candidat des Verts, espère convaincre les indécis de se rendre aux urnes (42 % d’abstention aux dernières municipales) et, le cas échéant, de voter pour lui. Alors que le crépuscule descend sur la cité, une dizaine de femmes africaines en boubou papotent au bas de l’immeuble en faisant griller du maïs. Jacques Picard en profite pour leur distribuer son programme. Une femme ironise : « Vous nous donnez ça, mais on ne peut pas aller voter, on n’a pas de papiers ! » Au reste, 30 % des habitants du quartier sont de nationalité étrangère et n’ont, par conséquent, pas le droit de voter. Une autre femme espère : « Ce sont les enfants qui iront voter. » Dans le hall, l’odeur est nauséabonde, les boîtes aux lettres sont dégradées et, dans les étages, nombre d’appartements sont murés.
Le quartier est en rénovation urbaine, comme deux autres ensembles, la Nacelle et Montconseil. Six tours ont été démolies, les habitants relogés, éparpillés dans le centre-ville ou dans les communes voisines. « On dirait que les bailleurs essaient de faire pression pour que les gens partent, avance Sandrine. Avant de venir ici, on était les derniers de la tour Cézanne, ils n’entretenaient plus rien, ils ne faisaient plus le ménage, ils muraient les étages. Ici, ça recommence. »

Chez Sandrine, les invités se feront longtemps attendre. Santa Kalombo est à l’heure. D’origine congolaise, arrivé en France en 1992, il a désormais la nationalité française, mais habite sept mois par an au Congo. Il disserte sur la politique, la corruption et Mobutu. Un voile beige encadrant son visage, Fatima Bounouar doute de la promesse faite par la liste UMP d’ouvrir les cantines scolaires à tous les enfants. « L’année dernière, les parents qui ne travaillent pas n’avaient pas le droit de laisser leurs enfants à la cantine, il n’y a qu’à Corbeil que c’est comme ça ! »
Arnold, un cousin de Sandrine, se joint à la réunion. Il travaille pour une association qui entraîne les jeunes du quartier au foot. Il ne sait pas encore pour qui il votera. Pour lui, les préoccupations majeures se portent d’abord sur « le centre commercial ». Après la destruction de celui du quartier, il y a plusieurs années, laissant les habitants sans commerces de proximité, un nouveau magasin devrait ouvrir le long de la nationale 7, qui longe les Tarterêts. « Les gens l’attendent aussi parce qu’ils espèrent y travailler », ajoute Sandrine.

Selon Arnold, la partie risque d’être compliquée pour les adversaires de l’UMP. « Les gens sont perdus et se concentrent sur les noms qu’ils connaissent, c’est-à-dire Serge Dassault et Bruno Piriou [ancienne tête de liste du PC, lui aussi condamné à un an d’inéligibilité, et qui soutient Michel Nouaille, NDLR]. Et puis ils en ont marre. Personne ne sait vraiment la vérité sur la culpabilité de Dassault. » Mais le dilemme est ailleurs : « Il y a une confusion dans l’esprit des gens entre l’argent de Dassault et l’argent public, observe Sandrine. Ils pensent que s’il part, comme il est riche, il n’y aura plus d’argent pour faire des choses dans la ville. » Mais ceux qui auraient besoin d’être convaincus du contraire ne sont pas dans la pièce.

[^2]: La gauche est en ballotage favorable avec 51 % de suffrages pour les trois listes PC, PS et Verts. Le taux d’abstention est de 52,13 %

[^3]: Chiffres Insee, 2006.

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