De quels droits ?/ Manifestement ambigu

Christine Tréguier  • 5 novembre 2009 abonné·es

Les décrets, comme les contrats, recèlent parfois des pièges. Il faut les lire très attentivement pour déceler la petite phrase lourde de conséquences. Un journaliste de PC Impact a ainsi repéré un récent décret signé du ministre de l’Économie et du ministre de la Culture. Ledit décret précise les conditions nécessaires pour bénéficier de l’appellation « service de presse en ligne » et de ses avantages juridiques et financiers. Il vient compléter l’article 1er de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse, lui-même modifié en juin 2009 pour y inclure les services de presse en ligne.

Pour obtenir un numéro de commission paritaire, à l’instar des publications papier, ces services devront donc offrir « un contenu utilisant essentiellement le mode écrit, faisant l’objet d’un renouvellement régulier » . Ce contenu doit être original, en lien avec l’actualité, faire l’objet d’un traitement à caractère journalistique, ne pas porter atteinte à la dignité humaine ou à la décence, ne pas faire l’apologie de la violence et ne pas être le simple prétexte à des activités publicitaires et commerciales. L’éditeur est responsable de la maîtrise éditoriale du contenu, mais aussi des espaces où s’expriment ses lecteurs. Et c’est là que le bât blesse. L’article 1er du décret précise que « sur les espaces de contribution personnelle des internautes, l’éditeur met en œuvre les dispositifs appropriés de lutte contre les contenus illicites. Ces dispositifs doivent permettre à toute personne de signaler la présence de tels contenus et à l’éditeur de les retirer promptement ou d’en rendre l’accès impossible ».

Dispositifs appropriés ? Contenus illicites ? De quoi parle-t-on ? La volonté de réglementer Internet et de censurer certains contenus a donné lieu par le passé à plusieurs projets de lois controversés et à des dizaines d’heures de débats parlementaires. La LCEN (loi sur la confiance dans l’économie numérique) a finalement imposé un compromis. Les hébergeurs de contenus ne sont civilement et pénalement responsables que s’ils n’ont pas supprimé promptement les contenus « manifestement illicites » portés à leur connaissance. Mais, en élargissant la cible aux contenus simplement « illicites », le décret pourrait bien obliger les éditeurs, sur demande d’un tiers, à se faire juge et à décider si un propos relève de l’injure, du dénigrement ou de la diffamation. Ou encore s’il porte atteinte aux droits d’auteur ou aux droits des marques. Cette obligation pourrait, par manque de temps et d’effectifs, aboutir à une censure hâtive des commentaires susceptibles de poser problème. Pour le plus grand bonheur des responsables politiques qui n’apprécient que très modérément les critiques et les « dénigrements » des internautes.

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