De quels droits ? / Un débat très orienté

Christine Tréguier  • 19 novembre 2009 abonné·es

Pour que le grand débat sur l’identité nationale soit mené tambour battant, Éric Besson a sorti de sa manche un site Internet participatif et une circulaire aux préfets. Le site, à l’en croire, serait « un immense succès ». À bien y regarder, pourtant, les personnalités ne se bousculent pas pour s’y exprimer. Trois contributions en six jours, c’est maigre. Du côté des citoyens, invités à répondre à la question fatidique « Pour vous, qu’est-ce qu’être français ? », les réponses fleurent si bon le sarkozysme grand teint qu’on ne peut s’empêcher de penser que les modérateurs éliminent soigneusement l’essentiel des critiques.

La circulaire, elle, fixe l’objectif : « favoriser une vision mieux partagée de ce qu’est l’identité nationale aujourd’hui ». Histoire de bien cadrer cette vision, Besson a mâché le travail dans une annexe intitulée « Guide pour la conduite des débats locaux ». Le document, en ligne mais bien planqué, donne aux représentants de l’État en charge d’orchestrer ce débat dans la France entière quelques « éléments de langage », comme disent les communicants de l’Élysée. La première question porte sur les éléments de l’identité nationale. Suit une longue liste à la Prévert allant de « nos valeurs » à « nos hautes technologies » en passant par les paysages, les églises, la langue, l’art culinaire ou les vins. Ça commence mal ! Besson a oublié ce qui fait souvent notre réputation à l’étranger : les fromages et l’atavisme râleur des Français. Et que penser du fait que « l’entreprise », qui aurait pu figurer dans cette liste, soit hissée au rang de « valeur » de l’identité nationale, au même titre que les droits de l’homme, la liberté ou la laïcité. Tout un symbole !

Viennent ensuite les questions essentielles : « Pourquoi accueillir des ressortissants étrangers dans notre République, puis dans notre communauté nationale ? » et « Pourquoi intégrer les ressortissants étrangers accueillis dans notre République, puis dans notre communauté nationale ? » La formulation heurte par ce qu’elle induit. On ne demande pas comment accueillir, mais pourquoi. Plusieurs des réponses suggérées – « soutien à notre démographie » , « besoin de personnes qualifiées », « emplois non pourvus » – sont utilitaristes et passent avant le droit au regroupement familial ou le droit d’asile. Puis, au détour de deux phrases nauséabondes, le débat dérape. « Comment éviter la concentration d’une part importante de la population immigrée dans des zones où les difficultés socio-économiques s’accumulent ? » et « Comment éviter l’arrivée sur notre territoire d’étrangers en situation irrégulière, aux conditions de vie précaires génératrices de désordres divers (travail clandestin, délinquance) et entretenant, dans une partie de la population, la suspicion vis-à-vis de l’ensemble des étrangers ? »

Amalgame entre immigration légale et illégale, désordre, insécurité, quartiers difficiles, immigrés fauteurs de troubles, on entre dans le vrai débat, celui de l’immigration, du communautarisme, de l’« étranger » opposé au bon Français. Si besoin était de le confirmer, deux des trois propositions concluant ce document ont trait à la question des devoirs auxquels devraient se soumettre les étrangers. Plus en rapport avec le débat initial, la dernière proposition suggère de « réaffirmer la fierté nationale » sur fond de drapeaux, de « Marseillaise » et de devoir de 14-Juillet. Ça rappelle un spot publicitaire dans lequel France Télécom proclamait agressivement : « Nous allons vous faire aimer l’an 2000 ! » Aujourd’hui, nos dirigeants semblent nous dire : « Nous allons vous faire aimer la France ! »

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