Grippe A : symptôme de méfiance

Peur du vaccin ou du virus ? L’épidémie de grippe A H1N1 cristallise la méfiance des Français envers les autorités et se propage dans un climat de grande confusion.

Ingrid Merckx  • 26 novembre 2009 abonné·es

Virage ? Le 15 novembre, seuls 20 % de la population étaient disposés à se faire vacciner contre la grippe, d’après un sondage Ifop. Le 20, la tendance semblait s’inverser. Et ceux qui se sont rendus le 21 dans un des centres de vaccination ont pu mesurer une affluence inattendue. Les Français se méfiaient, aujourd’hui ils feraient la queue ? Dans quelle proportion ?

Après un démarrage lent, le virus reprend de la vigueur. Le 18 novembre, on comptait une cinquantaine de décès dus à la grippe A ou à des complications, y compris chez des personnes qui ne présentaient pas de facteurs de risques. 168 classes étaient fermées dans 116 établissements scolaires. En une semaine, les nouveaux cas avaient quintuplé, les consultations pour grippe avaient augmenté de 10 %, et les hospitalisations pour cas graves avaient grimpé. L’épidémie accélère, mais on est encore loin du pic annoncé.

Près de 7 millions de Français ont été jugés prioritaires pour la vaccination. Dans les établissements de santé, celle-ci a commencé le 20 octobre. Le 12 novembre, elle s’est élargie aux professionnels qui sont au contact de personnes fragiles, à l’entourage des enfants de moins de 6 mois et aux personnes souffrant de pathologies les rendant plus vulnérables. Le 20 novembre, elle s’est ouverte aux femmes enceintes et aux 6-24 mois, et le 25 novembre aux scolaires. Ensuite, ce sera pour tout le monde, puisque la France a choisi d’offrir le vaccin à toute la population. Le 19 novembre, le ministère de la Santé totalisait 200 000 personnes vaccinées, dont seulement 120 000 parmi les professionnels de santé sur 800 000, 80 000 personnes dans les centres de vaccination entre le 12 et le 17. Ce qui veut dire que, jusqu’au 20 novembre en France, au moins, des millions de doses de vaccins disponibles et gratuits (10 % du stock mondial) ont patienté dans les tiroirs. Certains partant même à la poubelle, leur conditionnement par dix impliquant de jeter les doses non utilisées après un délai d’ouverture. Pendant ce temps, les États-Unis, en état d’urgence sanitaire – 22 millions de personnes infectées, 4 000 décès –, crient à la pénurie. Et 95 pays en développement attendent que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) se procure des doses qui ne couvriront au mieux que 10 % de leur population. Comment en est-on arrivé à ce paradoxe ?

Dans l’Hexagone, si la perception des risques évolue, la confusion initiale demeure. Pourtant, c’est la première fois de l’histoire que les autorités ont eu la possibilité d’anticiper une pandémie. D’où le lancement d’un grand plan de lutte, que beaucoup saluent, et une information afférente, donnée en temps réel. Mais, effet pervers de cette situation inédite, des erreurs et des cafouillages sont également commentés en temps réel : hôpital ou médecine de ville ? Vaccin avec adjuvants (molécule augmentant son efficacité) ou sans ? Refus ou succès tardif pour le vaccin ? Difficile de faire le tri parmi les informations et les rumeurs. Quelle est la bonne conduite à tenir ? Quelle est la source fiable ? Même les médecins sont partagés, ce qui ajoute à la suspicion ambiante. Le revirement vis-à-vis du vaccin est le dernier épisode d’un feuilleton rocambolesque. Et pas anodin, puisque chacun aura à mesurer personnellement quels risques il choisit de prendre.

Premier soupçon, sur l’ampleur de l’épidémie : elle s’est propagée moins vite que prévu. Le virus a émergé en avril, l’OMS a sonné l’alarme en juin, annonçant un pic pour octobre. Mi-novembre, en France, l’Institut de veille sanitaire totalise près de 2 millions d’infectés. Tout le monde ne se sent pas encore concerné. Si le produit met une à trois semaines à devenir efficace, il est encore temps de se vacciner mais, deuxième soupçon : le vaccin n’est-il pas risqué ? Quelle est la toxicité des adjuvants qu’il contient ? Quid de son efficacité et des effets indésirables ? Aujourd’hui, un vaccin sans adjuvant est disponible (pour les nourrissons et les femmes enceintes, notamment), et les experts assurent que le vaccin (avec et sans adjuvants) a été préparé dans les mêmes conditions que n’importe quel autre. Mais tous les essais cliniques ont-ils pu être menés ? Troisième soupçon, les experts sont-ils indépendants ? Les autorités – ainsi, d’ailleurs, que les spécialistes de la grippe – multiplient les appels à la vaccination mais, quatrième soupçon : peut-on leur faire confiance ?
H1N1 est aussi le symptôme de la méfiance grandissante des Français à l’égard des pouvoirs publics. En disant non au vaccin, beaucoup disent non au lobby pharmaceutique, sollicité par l’OMS dès le 11 juin, et par la France, qui a commandé dans la foulée 50 millions de doses à GSK, 28 millions à Sanofi-Pasteur, 16 millions à Novartis, 50 000 à Baxter… ; non aussi à la ministre de la Santé ; non peut-être également à Nicolas Sarkozy (dont le frère Guillaume dirige un groupe d’assurance-prévoyance…). Car comment croire qu’un gouvernement qui remet en cause le système de soins (financement solidaire de la Sécurité sociale, démantèlement de l’hôpital public et des hôpitaux de proximité) et défend la croissance industrielle à tout prix a réellement comme priorité de protéger la santé des individus ? Les Français disent également non à un processus qui a fait tomber l’information « d’en haut » en les privant d’une réflexion collective sur la vaccination et donc d’une appropriation de ses enjeux. Il y a là au moins une erreur politique.

Le rejet du vaccin à un coût : celui de la campagne et des vaccins commandés (1,5 milliard d’euros). Un sens politique : les Français, qui sont loin de se mobiliser massivement contre les réformes de Nicolas Sarkozy, se sont dits prêts à 80 % à rejeter une proposition de son gouvernement concernant leur santé individuelle ! Et un prix en termes de santé publique. Si la virulence grimpe, beaucoup reviendront sur leur refus de se faire vacciner. Mais qu’en est-il, en attendant, de la « vaccination citoyenne » ? Soit du vaccin que l’on se fait injecter pour limiter la propagation d’une maladie et la contamination des personnes vulnérables ?

Société
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