L’art bourgeois de la trahison

Dans « Synopsis/Squash », joué au Théâtre de la Commune, Andrew Payne épingle férocement la société des cadres et des bobos.

Gilles Costaz  • 5 novembre 2009 abonné·es
L’art bourgeois de la trahison
© Synopsis/Squash, théâtre de la Commune, Aubervilliers, 01 48 33 16 16. Jusqu’au 21 novembre. Texte français de Vanessa Chouraqui et Robert Plagnol à L’Avant-Scène Théâtre (coll. « Les Quatre Vents »).

À Paris, théâtre public et théâtre privé se défient plus qu’ils ne s’entraident. Depuis qu’il a pris la direction du théâtre Marigny, l’ex-homme de télévision Pierre Lescure tente une collaboration entre les deux secteurs en reprenant des spectacles de la Comédie-Française et du Rond-Point – ce qui déroute parfois le public habitué au vedettariat. À la Commune, à Aubervilliers, Didier Bezace fait le chemin inverse : il met à l’affiche un spectacle qui a été créé il y a trois ans dans le circuit commercial, Synopsis/Squash , de l’Anglais Andrew Payne, mis en scène par Patrice Kerbrat et joué par Benjamin Boyer et Robert Plagnol. Pourquoi un responsable du secteur subventionné est-il allé chercher une production dans le camp d’en face ?

« Il ne faut pas voir cela sous cet angle, répond Didier Bezace. J ’ai placé ma saison sous le signe du compagnonnage. Et cette programmation est d’abord un compagnonnage avec le jeune acteur qui a porté ce spectacle, Robert Plagnol. J’ai vu son interprétation des pièces de Payne quand il a fait une reprise dans le off d’Avignon, et j’ai pensé que cette réalisation avait tout à fait sa place dans le théâtre public. L’écriture de Payne est passionnante. À la Commune, nous avons promu l’Australien Daniel Keene. Payne est aussi un auteur à faire connaître. Robert Plagnol est un acteur né dans le monde du théâtre privé. Mais il nous rejoint en allant faire des ateliers et des rencontres dans les écoles. Il participe à notre action. J’espère que ces représentations lui permettront de tourner le spectacle dans d’autres lieux du service public. N’oublions pas que le secteur privé a laissé tomber ces très bonnes pièces parce qu’elles ne marchaient pas ! Nous ne sommes pas dans les mêmes logiques. Dans le cadre de ce compagnonnage, j’ai pris aussi Plagnol dans la distribution des Fausses confidences de Marivaux, que je mets en scène en février, à côté d’Anouk Grinberg et de Pierre Arditi. »

Le spectacle, que nous avions vu à sa création au Petit-Montparnasse, est en effet très fort. Les deux pièces qui le composent sont tendues comme un arc. Dans Synopsis , deux amis qui exercent le métier de scénariste travaillent à des scripts médiocres. Comme la loi du showbiz est la plus forte, l’un d’eux trahit l’autre dans l’espoir d’une réussite en solitaire. Dans Squash , deux jeunes cadres qui s’entraînent dans la même salle de sport sont confrontés au problème de l’infidélité et pris dans la spirale du mensonge, quand l’un demande à l’autre de couvrir ses escapades. Rien de boulevardier là-dedans, mais une mise à nu féroce de l’égoïsme. « Les pièces épinglent la société des cadres et des bobos, dit Bezace. Elles vont loin dans l’examen des fissures des êtres humains. » La puissance du spectacle de Kerbrat et des deux interprètes repose également sur la netteté du trait et du jeu. La pression est constante, dans le visible comme dans l’invisible de l’arrière-plan.

Acteur et cotraducteur des deux pièces, Robert Plagnol trouve, pour Andrew Payne et pour lui-même, une belle revanche. Au Petit-Montparnasse, le spectacle avait été retiré de l’affiche au moment où la presse commençait à le saluer. Plagnol ne connaissait pas Payne quand il créa Synopsis et Squash , mais il n’allait pas tarder à devenir son ami, puisqu’il traduisit et joua aussi une autre pièce de lui, le Plan B. « C’est un auteur qui ne donne pas de leçon, dit Plagnol. Il met la société, la sexualité et le problème de la fidélité sur la table d’opération. Il n’a pas de point de vue sur le bien et le mal. Il aime ses personnages, mais il constate qu’on ne peut vivre et aimer sans détruire quelque chose de soi ou quelqu’un. Il décrit un milieu aisé, opulent ; les femmes, qu’on ne voit pas, parlent surtout de ce qu’elles gagnent. Il fait le tableau noir de cette classe, mais s’en sert comme d’un socle pour aller vers les problèmes existentiels et sexuels. »

Pour l’acteur, curieusement, la façon de jouer ressemble à la façon de vivre des personnages qu’il interprète : « Jouer du Payne consiste à aller provoquer l’autre, à cerner l’autre pour qu’il avoue ce qu’il ressent. » Tout est jungle !

Culture
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