Les grandes banques sont un danger public

Dominique Plihon  • 19 novembre 2009 abonné·es

La banque d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec celle d’hier. Nous sommes désormais en présence de groupes de taille considérable, actifs sur tous les métiers de la finance. Le secteur de la banque a subi une double transformation qui a radicalement changé son rôle et sa place dans nos économies. La banque de détail, qui consiste à distribuer des crédits et à collecter des dépôts, et qui était le cœur de l’activité bancaire, a vu sa part décroître. Actuellement, les banques sont présentes sur une soixantaine de métiers allant du financement du crédit-bail ou des LBO à la gestion des Sicav, en passant par les opérations d’assurance.
L’un des grands changements a été le développement de la finance de marché : nos banques se sont ruées sur la Bourse et sur les marchés de produits dérivés et structurés (résultant notamment de la titrisation). Ces opérations ont « boosté » les taux de rentabilité des banques. Or, il s’agit le plus souvent d’opérations de nature spéculative, qui ne créent aucune richesse et impliquent des prises de risque importantes. De plus, ces opérations sont opaques, se déroulent sur des marchés de gré à gré non régulés, et échappent à tout contrôle des autorités. Ces activités ont proliféré comme la gangrène et joué un rôle central dans la crise des subprimes.

Le deuxième changement a été l’augmentation rapide de la taille des banques à la suite d’opérations de fusion et d’acquisition à grande échelle, à l’étranger et en France, telles BNP et Paribas, Crédit agricole et Crédit lyonnais, ou récemment Caisses d’épargne et Banques populaires. Les actifs des trois plus grandes banques représentent désormais plus de 250 % du PIB en France. Si les banques cherchent à grossir, c’est pour accroître leur rentabilité et leur pouvoir face aux marchés et aux autorités publiques. Ces dernières sont confrontées à une contradiction. D’un côté, elles veulent en finir avec le « too big to fail » , adage devenu célèbre avec la crise des subprimes : un nombre important de groupes financiers « trop gros pour faire faillite » ont dû être sauvés à coups d’injections massives d’argent public. Mais, d’un autre côté, à l’occasion de la crise, les banques ont encore grossi : BNP-Paribas a racheté Fortis en déconfiture, JP Morgan a avalé Bear Sterns en faillite, etc.

Pour résumer, la crise a révélé que les grands groupes bancaires sont devenus des dangers publics pour deux séries de raisons : d’une part, ils se livrent de plus en plus à des activités spéculatives rentables et dangereuses pour la stabilité du système financier ; d’autre part, ces acteurs échappent au contrôle et aux sanctions des marchés et des autorités par leur taille et par la nature opaque de leurs opérations. Il est devenu évident que des mesures radicales sont nécessaires pour changer la situation actuelle, qui, si elle se perpétue, conduira à coup sûr à de nouvelles crises bancaires. Les mesures proposées par l’Europe et le G20 sont insuffisantes : elles prévoient d’imposer aux groupes « systémiques » des règles spécifiques peu contraignantes, comme la communication aux autorités de l’état précis de leurs engagements. Il faut frapper plus fort par deux séries de décisions : premièrement, réintroduire une séparation rigoureuse entre les activités de banque d’investissement tournées vers les marchés et la spéculation, et les activités de banque de détail, qui concernent les ménages et le financement direct de la sphère productive. Cette solution avait été imposée avec succès aux États-Unis par le Glass-Steagall Act en 1933, au lendemain de la crise de 1929. La deuxième mesure est d’interdire les opérations trop risquées, comme les LBO, qui consistent à augmenter la rentabilité à partir d’un endettement élevé, et d’introduire des contraintes discriminatoires sur les opérations spéculatives, notamment par une fiscalité plus élevée.

Les lobbies financiers ont obtenu jusqu’ici qu’aucune réforme significative ne soit mise en œuvre en France comme à l’étranger. Nous ne pouvons accepter cette reculade des autorités. L’activité bancaire relève du service public et doit être strictement contrôlée. C’est pourquoi Attac, avec les Amis de la Terre et les organisations syndicales de la banque, ont décidé de lancer en 2010 une campagne sur le thème « Changeons la banque ».

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