Congrès de la CGT : pourquoi ça coince ?

De nombreuses critiques traversent la CGT de Bernard Thibault. Sur fond de recomposition,
une opposition à la ligne confédérale s’affiche désormais et soutient son propre candidat avant le 49e congrès.

Thierry Brun  • 3 décembre 2009 abonné·es
Congrès de la CGT : pourquoi ça coince ?

Où va la CGT ? De nombreux militants se poseront cette question lors du 49e congrès de la confédération syndicale, qui se tiendra à Nantes du 7 au 11 décembre. « Où va la CGT ? » est le nom d’un blog créé par des militants de Voie prolétarienne, nostalgiques d’un communisme « marxiste-léniniste ». Mais, à la faible audience de ces orthodoxes partisans d’un syndicalisme de lutte de classe, s’ajoute ces derniers mois un concert de critiques sur les orientations de la première confédération syndicale de salariés.
En pleine crise économique, Bernard Thibault, candidat à sa propre succession, doit faire face à une CGT qui doute désormais jusqu’au plus haut niveau. Surtout depuis qu’un collectif de militants, où l’on retrouve les orthodoxes, a lancé un appel au soutien de la candidature au poste de secrétaire général de Jean-Pierre Delannoy, responsable régional de l’Union syndicale des transports et de la métallurgie (USTM) du Nord-Pas-de-Calais. La ligne confédérale est ouvertement contestée par une opposition qui s’affiche au grand jour, une première pour la centrale de Montreuil [^2], dont le secrétaire général minimise la portée : « Il y a des militants qui se la racontent un peu sur le potentiel de mobilisation des salariés » , explique-t-il. « La candidature de Delannoy n’existe pas » , conteste Maryse Dumas, du Bureau confédéral de la CGT, proche de Bernard Thibault, sur le départ tout comme Jean-Christophe Le Duigou, et qui affirme être « en désaccord profond » avec l’opposant.

« Derrière le camarade Delannoy, il y a des syndiqués, difficile de ne pas tenir compte de cette réalité, sauf à bafouer nos propres statuts » , a cependant souligné Daniel Sanchez, secrétaire de la CGT, au cours du comité confédéral national d’avant congrès, qui s’est tenu les 3 et 4 novembre, rapporte le Peuple, organe officiel de la CGT (dans son numéro du 11 novembre). « Il faut qu’enfin nous traitions cette question du rapport de la base avec la direction confédérale, parce que tout le monde se la pose » , souligne le syndicaliste dans une mise en garde contre la tentation de caricaturer la candidature, certes symbolique, de Delannoy.

« Le fossé s’agrandit », et les « militants de base de la CGT ne comprennent pas la stratégie » de la direction, estime Jean-Pierre Delannoy, dont le collectif de soutien revendique près de 1 500 signatures de militants et d’organisations syndicales, et en espère 2 000 au moment du congrès. « La direction confédérale CGT, qui n’ignore pas que la mobilisation, pour être efficace, nécessite une autre orientation que celle du syndicalisme dit rassemblé, s’enfonce chaque jour davantage dans une stratégie d’accompagnement et d’adaptation au système capitaliste au lieu de le combattre réellement » , affirme ce collectif, dont les membres appartiennent à des fédérations, comme la chimie et l’agroalimentaire, et à des unions départementales (Seine-Saint-Denis, Seine-Maritime) ou locales (Douai) qui s’opposent fréquemment à la ligne confédérale menée par le secrétaire général depuis 1999.

Emblématiques, ces critiques rendent visible le malaise de militants partisans d’un radicalisme, ou exigeant du moins une CGT plus combative. Elles ne sont pas isolées au sein de l’appareil confédéral, reconnaît Maryse Dumas, qui minimise cependant ces débats contradictoires : « Une partie des syndicats conteste férocement les orientations prises par la CGT, mais elle est loin d’atteindre la majorité. Cette contestation restera marginale, comme à chaque congrès. » Féroces aussi sont les «  pressions et actions en justice contre les militants et les syndicats qui refusent cette dérive », dénonce l’opposition, qui en cite quelques-unes, en particulier à l’union locale de Douai, dans les syndicats de Forclum, Dalkia et Air France.
La direction confédérale a-t-elle atteint les limites de sa stratégie de « syndicalisme rassemblé » ? Cette notion, qui sera martelée lors du prochain congrès, tant de fois revendiquée par Bernard Thibault, est aussi perçue comme une évolution « réformiste » de la CGT. « Compromis ne veut pas dire compromission » , se défend Thibault, qui oublie qu’au congrès de Lille, en 2006, le mot « compromis » avait été rejeté, car assimilé à la « compromission ». De plus, le changement voulu par la direction confédérale passe mal au vu des résultats : « Depuis 1999, nous sommes en échec sur tous les enjeux nationaux : protection sociale, retraites, salaires, RTT, emploi… On ne peut pas continuer comme ça », gronde Jean-Pierre Delannoy.

Le sentiment que l’évolution de la CGT tend vers un syndicalisme d’accompagnement est renforcé par l’attitude de Bernard Thibault, fin 2007, quand le secrétaire général surprend sa base, et particulièrement la CGT-Cheminots, dont il est lui-même issu, en acceptant de négocier avec le gouvernement sur la réforme des régimes spéciaux. Une négociation menée à l’Élysée qui ne passe pas inaperçue. Bernard Thibault est aussi montré du doigt par les militants après avoir suggéré d’organiser des États généraux de l’industrie, une idée reprise par Nicolas Sarkozy lors d’un entretien… à l’Élysée. Cette recherche du « compromis » a valu au leader de la CGT, lors de la manifestation nationale du 22 octobre pour la défense des emplois dans l’industrie, de se faire copieusement siffler au moment de prendre la parole, notamment par les « Conti », des syndicalistes du Nord-Pas-de-Calais, des Bouches-du-Rhône, du Sud-Ouest et d’Île-de-France.

À la liste de plus en plus longue des marques d’un réformisme en marche, certains ajoutent le réchauffement récent entre la CFDT et la CGT et… l’échec de l’intersyndicale née en octobre 2008. Ce grief est omis dans le document d’orientation du congrès, en décalage « avec le ressenti de beaucoup de salariés, voire de militants » , note une fédération. Car les journées nationales avec manifestations et arrêts de travail décidés dans les entreprises ont laissé un goût amer dans de nombreuses organisations de la CGT. « Beaucoup de salariés (syndiqués ou non) ont suivi le mouvement. Mais, alors qu’il y avait une vraie dynamique engagée et une motivation, y compris parmi les personnes qui n’avaient pas pour culture de faire grève, ce mouvement s’est stoppé net » , relate Sylvie, syndicaliste dans la Fonction publique territoriale, sur le forum du 49e congrès.

Officiellement, Bernard Thibault ne craint pas cette montée de la grogne au sein de ses troupes, et a même un successeur désigné en la personne de Frédéric Imbrecht, dirigeant la fédération de l’énergie. Le secrétaire général, qui s’apprête donc à rempiler pour trois ans, met à son bilan les élections prud’homales de décembre 2008, qui ont enregistré un progrès sensible de la CGT et un recul des autres grandes confédérations. La première organisation syndicale française, espère Bernard Thibault, devrait aussi sortir renforcée par la réforme de la représentativité qu’elle a signée avec la CFDT, laquelle est en train de rebattre les cartes au sein du monde syndical. L’issue du 49e congrès est donc jouée d’avance mais, ne manquent pas de rappeler les opposants à la ligne confédérale, elle devrait permettre aussi de populariser de nouvelles perspectives pour l’opposition interne.

[^2]: Il faut remonter avant la Seconde Guerre mondiale pour voir des courants s’affronter au sein de la CGT. Rappelons que la CGT unique connut deux secrétaires généraux : Léon Jouhaux, représentant un courant qui serait aujourd’hui considéré comme « réformiste », et Benoît Frachon. Voir à ce sujet la prise de position de l’historienne Annie Lacroix-Riz pour un « syndicalisme de classe » ().

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