De quels droits ? / Droit à l’oubli : un vrai casse-tête

Christine Tréguier  • 3 décembre 2009 abonné·es

Une proposition de loi et un atelier organisé par Nathalie Kosciusko-Morizet ont récemment lancé le débat sur le « droit à l’oubli numérique ». Le sujet est vaste et d’autant plus complexe qu’on mélange allègrement deux problématiques différentes. La première est celle des données captées, parfois à votre insu, par les moteurs de recherche et les sites de vente ou de services via des cookies ou des formulaires en ligne. Ces données personnelles ne sont pas consultables sur le Net par des tiers souhaitant s’informer sur vos faits et gestes (hormis par les services policiers dans certains cas). En revanche, elles rapportent gros à ceux qui les collectent en alimentant un très lucratif commerce : vente de fichiers et de prospects, publicité ciblée, marketing comportemental, etc. Théoriquement, la loi Informatique et libertés impose de recueillir le consentement de la personne, laquelle dispose d’un droit d’accès et d’opposition. Nombre de sites passent outre, et exercer son droit d’opposition est parfois un parcours du combattant. Le projet de loi proposé par les sénateurs Yves Détraigne et Anne-Marie Escoffier entend renforcer les obligations d’information des responsables de traitements, notamment sur la durée de conservation et l’origine des données collectées. Il veut aussi faciliter l’exercice du droit de suppression (par mail et sans frais) et augmenter les sanctions financières imposées par la Cnil en cas de manquement. Apparemment peu favorable à la loi, la secrétaire d’État au Développement de l’économie numérique suggère de s’en remettre à une Charte d’autorégulation et un système de labels : site où l’anonymat serait garanti, site où, par exemple, l’âge serait vérifié, et site où l’identité complète serait exigée. À ce stade, la proposition reste très vague, et on ne voit guère en quoi elle protégerait l’internaute des appétits des absorbeurs de données.

L’autre catégorie est celle des informations concernant M. ou Mme Untel accessibles en ligne. Une simple recherche nominative sur Google va ramener à la surface images et écrits publiés sur les réseaux sociaux type Facebook, confidences sur leurs blogs personnels, et interventions dans les forums et autres espaces interactifs, pour peu qu’ils s’y soient exprimés sous leur vrai nom. Quelques (rares) faits divers ont montré que ces informations pouvaient atterrir sur l’écran d’un patron inquisiteur, d’un assureur ou d’un quidam mal intentionné. Doit-on crier au loup pour autant ? Il faut bien évidemment sensibiliser les jeunes (et les moins jeunes) aux risques d’une trop grande exposition de soi. Mais mettre dans un même panier information sur la protection des données personnelles et sur les « dangers du téléchargement », comme le fait le projet de loi des sénateurs, n’est pédagogiquement pas la meilleure manière d’y parvenir.
Il est évident que chacun doit rester maître de ses données et puisse les faire supprimer sur simple demande. Et si les lois actuelles n’y suffisent pas, il faudra en écrire de nouvelles, ou inscrire ce droit dans la Constitution, comme le propose le président de la Cnil.

Mais on ne peut s’empêcher de se demander si ce soudain engouement pour le droit à l’oubli ne cache autre chose. Imaginons que le droit de supprimer les données concernant un quidam s’applique également à celles publiées par des tiers. Que la mémoire trop persistante que l’on cherche à effacer englobe, au-delà de la vie privée, la vie publique pas toujours sans taches de certains notables ou de certaines entreprises. Le droit à l’oubli leur permettrait alors d’occulter le passé, et de se refaire une e-réputation, sans bourse délier.

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