De quels droits/Transparence totalitaire

Christine Tréguier  • 10 décembre 2009 abonné·es

Décidément, rien ne va plus entre nos gouvernants et les médias. En novembre, l’affaire Jean Sarkozy avait conduit son président de père à exprimer tout son mépris pour la gent médiatique. « Il y a ceux qui agissent et il y a ceux qui commentent » , avait-il dit, assimilant révélations et informations sur le dossier Epad à du commérage inutile. Ministres et collaborateurs ont aussitôt intégré cet « élément de langage » et ne parlent plus que de « commentateurs ». Le porte-parole de l’UMP, Frédéric Lefebvre, crie à la cabale et vitupère contre ces médias qui «  considèrent chaque matin qu’il faut trouver le sujet pour déstabiliser le président de la République » et ne pensent qu’à salir les ministres.

Mais le pompon revient sans conteste au conseiller spécial de l’Élysée, Henri Guaino. À la suite de l’indignation provoquée par la petite phrase douteuse de Brice Hortefeux
–  « Quand il y en a un [Arabe, NDLR], ç a va, c’est quand il y en a beaucoup que ça pose problème » , il y était allé de son couplet sur Internet, cet instrument du voyeurisme et de l’irrévérence populaire. « Je trouve qu’on rentre dans une société étrange dans laquelle on ne peut plus rien dire, plus rien faire » , avait-il lâché. « Vous savez, la transparence absolue, c’est le début du totalitarisme. La transparence, ça veut dire qu’il n’y a plus d’intimité, plus de discrétion ; plus rien n’a d’épaisseur dans la transparence, à commencer par les êtres, d’ailleurs. »

Henri Guaino vient de réitérer, prenant cette fois-ci pour cible le Canard enchaîné, qui a osé révéler son salaire (290 000 euros annuels). Se refusant à tout commentaire, il a fustigé à nouveau « cette espèce de transparence totalitaire, mesquine » . C’est vrai, quoi, c’est insupportable, ces journalistes qui ne comprennent pas que la vie privée des personnes publiques commence dès que la conférence de presse est terminée. Qui, au lieu de commenter ce qui a été dit, laissent traîner leurs micros et fouillent dans les tiroirs. Qui se piquent de révéler au petit peuple ce que lui coûtent les hauts fonctionnaires de l’État et ce que ceux qui les gouvernent pensent tout bas.

Henri Guaino a raison, il faut débusquer la transparence totalitaire. À la différence près qu’elle ne réside pas dans la liberté d’information mais dans la surveillance que l’État impose chaque jour un peu plus à ses administrés. Imaginez sa réaction s’il devait, comme des millions de citoyens lambda, voir sa vie passée au crible et archivée dans les fichiers des organismes sociaux. Chasse aux fraudeurs oblige, des dizaines de milliers de contrôleurs auraient accès à son salaire, à ses impôts, à ses allocations, à ses remboursements de Sécu, à ses loyers, à ses factures, à ses prêts et à ses placements bancaires. Que dirait-il si, pour utiliser les transports en commun, il devait accepter que ses déplacements soient enregistrés par les puces RFID de son passe Navigo ? Si un policier pouvait, sous couvert d’enquête, avoir connaissance de tout ce qu’il a fait sur Internet ? Si les services de renseignement consignaient dans leurs fichiers ses appartenances religieuses, philosophiques et politiques, et celles de ses proches ? Ne trouverait-il pas cela totalitairement insupportable ?

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