Jouets de la mondialisation

À l’approche des fêtes de Noël, l’ONG Peuples Solidaires révèle les conditions de travail
des ouvrières du jouet en Chine. Et lance une campagne d’interpellation des multinationales donneuses d’ordre.

Thierry Brun  • 10 décembre 2009 abonné·es
Jouets de la mondialisation

La campagne « Ce n’est pas du jeu ! » a commencé par une balade de « Monsieur Nounours » dans Paris, de la place du Châtelet jusqu’au parvis du ­Centre Pompidou. La mascotte de l’ONG Peuples solidaires s’est entretenue publiquement avec, notamment, un syndicaliste de la CFDT et diverses organisations militant pour des conditions de travail décentes dans l’industrie du jouet. Cette marche de Monsieur Nounours ne s’arrêtera pas là : les groupes locaux de l’ONG se mobiliseront ainsi à travers la France jusqu’à Noël. Et d’autres ONG feront de même en Autriche, en Pologne, en République tchèque et en Roumanie.

Contrairement aux apparences, Monsieur Nounours est bien vivant. Il a été fabriqué en Chine par des ouvrières « qui ont travaillé de longues heures pour des salaires de misère et dans des conditions dangereuses pour lui donner la vie », raconte-t-il. Le plantigrade rebelle témoigne du sort de ces « derniers maillons de la chaîne » , et supplie qu’on respecte les droits fondamentaux du travail. La crise « a touché de plein fouet l’industrie du jouet en Chine, et n’a pas arrangé les choses. Les ouvriers en sont les premiers touchés » , assure Peuples solidaires, à l’origine de cette campagne d’interpellation, qui a rendu public un rapport d’enquête sur les soutiers du jouet [^2] avec la Sacom, une ONG chinoise regroupant étudiants et universitaires contre la mauvaise conduite des entreprises.

Monsieur Nounours est le symbole d’une industrie devenue en quelques années un gigantesque commerce mondialisé, dominé par une poignée de multinationales américaines comme Hasbro, McDonald’s, Mattei et Disney. Quelles conditions de production pratiquent-elles ? La Sacom et le China Labor Watch (CLW), deux organisations partenaires de Peuples solidaires, ont enquêté, non sans mal, dans les usines sous-traitantes en Chine, là où sont produits entre 70 et 80 % des jouets vendus dans le monde : « Les résultats de ce travail de ­terrain sont sans appel : dans ces quatre usines, les violations des droits des ouvriers sont légion, et l’exploitation est la règle. »
Entre 3 et 5 millions d’ouvrières travaillent dans ces usines et gagnent une misère, en moyenne 3,50 euros par jour, quinze fois moins qu’un ouvrier français. « La plupart sont âgées de 15 à 30 ans, migrantes qui viennent des régions pauvres et rurales de l’intérieur des terres » , souligne la Sacom. « J’ai l’impression de travailler dans des conditions proches de l’esclavage pour fabriquer des jouets destinés à l’exportation. Je n’ai même pas le temps de dormir. Je voudrais démissionner, mais ce n’est pas facile : la direction retient quarante-cinq jours de notre salaire », expose une ouvrière de Tianyu Toys, qui fabrique des peluches pour Disney.

L’enquête menée dans cette usine de fabrication du sud de la Chine, ainsi que dans une autre nommée Wai Shing, révèle le revers peu reluisant de cette mondialisation. « Certains ouvriers sont exposés quotidiennement aux produits chimiques. La majorité d’entre eux n’ont jamais été informés des dangers liés à leur manipulation, ni n’ont été formés pour les manipuler en toute sécurité. » Les ouvriers « sont priés de porter leur équipement de protection en cas d’audit uniquement » et la liberté d’expression « est bafouée lors des entretiens avec les auditeurs. Toute réponse jugée insatisfaisante est assortie d’une punition et d’une amende infligées par la direction ».

Ainsi, la multinationale Disney peut se prévaloir d’un code de conduite « qu’elle prétend imposer à l’ensemble de ses fournisseurs et de milliers d’audits menés chaque année pour en vérifier le respect » . Un bouclier permettant de rejeter la faute sur les fournisseurs, en les accusant de ne pas respecter les lois locales et les codes. « En profitant du fort ascendant qu’elles ont dans les négociations avec les fabricants locaux, les grosses multinationales du jouet comme Mattel, Hasbro ou Disney sont elles aussi responsables de ces violations » , précise Fanny Gallois, chargée de mission chez Peuples solidaires.

Ces multinationales et les actionnaires exigent « toujours plus de profits, les coûts de production doivent diminuer. La solution la plus simple est donc de sous-traiter dans des pays à faible coût de revient ». Elles réalisent à elles seules 80 % du ­chiffre d’affaires de cette industrie « Made in China ». Le reste est accaparé par les intermédiaires (pour le compte des grandes marques). Tout en bas de l’échelle, des milliers d’usines en concurrence entre elles sont implantées dans des zones franches qui proposent aux investisseurs des allégements fiscaux massifs tout en ignorant le droit du travail et les réglementations environnementales. Un tel système s’accommode de violations graves des droits des travailleurs. Il est encore temps d’en changer.

[^2]: Le rapport est intitulé « Ouvriers du jouet, les derniers maillons de la chaîne » et est téléchargeable gratuitement sur , site sur lequel on trouvera tous les renseignements sur la campagne « C’est pas du jeu ! ».

Temps de lecture : 4 minutes