Le festival des trois continents

Durant une semaine,
le Festival des 3 continents, à Nantes,
a livré un panorama
des cinémas du Sud,
à la fois créatifs
et fragilisés.

Jean-Claude Renard  • 3 décembre 2009 abonné·es
Le festival des trois continents

Deux films. Le premier, Tulpan , du Kazakh Sergueï Dvortsevoy , rapporte l’histoire d’un marin de retour sur ses steppes natales du Kazakhstan auprès de ses proches, éleveurs de moutons, avec pour devoir et objectif le mariage, non sans problème dans un paysage isolé, piqué de yourtes. Le second film, Tulaï, d’Idrissa Ouédraogo, sur un canevas familial dans la brousse du Burkina Faso, où, là encore, il est question de retour au pays, se veut un récit d’amour et d’honneur, de coutume et de transgression, de liberté et de bonheur individuel. Deux films [^2] articulés autour du voyage et des sentiments, avec leur poids de dimensions sociales et culturelles, poétiques, une topographie nourrissant le langage formel de l’œuvre. Deux films, une double projection. Au centre de détention et à la maison d’arrêt de Nantes. En prime, une lecture du scénario original du film de Ouédraogo par le comédien africain Makéna Diop, et un atelier d’écoute des rushs sonores animé par l’ingénieur du son de Dvortsevoy. Une démarche originale et une programmation de qualité [^3]. Au diapason du festival.

L’Afrique, l’Amérique latine, l’Asie. Trois continents. 31e édition. Après trois décennies orchestrées par ses fondateurs, les frères Alain et Philippe Jalladeau, le festival de fictions et de documentaires est aujourd’hui dirigé par Philippe Reilhac (auparavant dans l’organisation de la Quinzaine des réalisateurs, à Cannes, au Fipa, à Biarritz et à La Rochelle). Sans changer de fusil d’épaule et conservant pareille ligne éditoriale. Proposer des films rares, inédits, multipliant les lieux, dans le maillage des salles de la ville jusqu’au théâtre universitaire, le théâtre Graslin, le Lieu unique et la Galerie des machines, pour « renouveler le public, précise Philippe Reilhac, redynamiser le festival, explorer de nouvelles façons de programmer »  [^4].

Au programme, donc, entre le 24 novembre et le 1er décembre, un hommage à Kiyoshi Kurosawa (avec notamment The Revenge, Serpent’s Path, Cure et Vaine Illusion ) ; trois films muets des années 1930, d’Ouzbékistan et du Tadjikistan, projetés avec un accompagnement musical original ; un aperçu du cinéma réalisé dans la Corne de l’Afrique ; une programmation tournée vers le jeune public (mêlant trhiller, road-movie, manga et tragédie) ; une sélection variée de courts-métrages regroupés sous les thématiques du cheminement et de la mémoire ; des rencontres avec de jeunes documentaristes en résidence ; un débat autour de la censure artistique en Iran ; des images multiples de vidéastes…

Un programme copieux de films, pour la plupart tournés en 2008 et 2009, auxquels se sont ajoutés films en compétition et hors compétition. Parmi ceux-là, avec Scheherazade, raconte-moi une histoire , dans un milieu d’ambition journalistique et d’allégeance au pouvoir, Yousry Nasrallah rend compte de la situation douloureuse des femmes en Égypte, entre tradition et modernité, dans les couleurs acidulées du Caire. Dans Bandhobi , le cinéaste coréen Shin Dong-il provoque la rencontre improbable d’une jeune lycéenne coréenne du Sud et d’un ouvrier du textile originaire du Bangladesh, laissé sans le sou, tandis qu’avec Blind Pig Who Wants to Fly, composé en différents tableaux, l’Indonésien Edwin aborde le racisme politique, le déni de l’identité culturelle de la minorité chinoise en Indonésie, partagée entre insécurité et déracinement.

Autant de films, autant de sensibilités, qui donnent une ­fenêtre à un cinéma inconnu. Pour Philippe Reilhac, « le festival est un outil formidable de promotion et de soutien aux cinémas du Sud. C’est aussi le seul festival qui couvre en même temps ces trois continents, essayant de maintenir un équilibre entre eux dans la programmation » . Non sans mal, quand les cinémas d’Amérique latine et d’Afrique se ­révèlent exsangues. «  Ce sont des cinémas fragiles, menacés. C’est là qu’intervient notre rôle, sachant combien le cinéma asiatique connaît une production abondante, de qualité, au Japon, en Chine, en Indonésie ou en Malaisie, bénéficiant de soutiens financiers et de l’intérêt du public européen. À côté, le cinéma africain souffre, en termes de production et de distribution. Les films qui parviennent à la réalisation sont peu vus, faute de salles. D’où l’importance de les présenter ici et d’élargir le festival au-delà de sa durée à travers des aides concrètes tout au long de l’année. » Un festival qui ne manque donc ni d’intérêt ni d’enjeux, traversé de curiosités. Nécessaire.

[^2]: Tous deux lauréats à Cannes, le premier, prix Un certain regard (2008) ; le second, Grand Prix du jury (1990).

[^3]: Autre démarche originale : le festival s’est invité au CHU de Nantes en proposant à l’ensemble des patients une programmation de six films issus de la sélection officielle et diffusés dans toutes les chambres sur le canal interne de l’hôpital.

[^4]: Le festival avait attiré près de 30 000 spectateurs au cours de l’édition 2008.

Culture
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