L’Europe a rendez-vous à Reims

L’histoire contemporaine vue par une nouvelle génération
de dramaturges européens.

Gilles Costaz  • 3 décembre 2009 abonné·es

Tiens, un directeur de théâtre qui ne dit pas qu’il prend des partis pris bien plus intelligents que ceux de ses prédécesseurs ! Au moment où il inaugure le festival Reims Scènes d’Europe, Ludovic Lagarde, nouveau directeur du ­Centre dramatique, préfère saluer ses prédécesseurs, Chistian Schiaretti et Emmanuel Demarcy-Mota, qui ont donné au public de Champagne-Ardenne l’habitude de rendez-vous audacieux. Et cette manifestation, à laquelle viennent participer de grands personnages comme Umberto Eco, Jacques Higelin et Patrice Chéreau, n’a pas été inventée par lui-même, Lagarde, mais par Demarcy-Mota. Simplement, il lui ajoute une substance un peu inédite venant en partie de son expérience de metteur en scène qui fréquente les grands théâtres berlinois et s’intéresse particulièrement aux nouveaux auteurs allemands.
Mais Lagarde précise aussi – et c’est un autre élément surprenant – qu’il n’y a pas un seul patron pour ce festival. Il est constitué par les directeurs de huit structures de Reims. Incroyable : ces gens que tout sépare (ils vont de la danse et du théâtre à la musique et au cirque), et que le jeu des rivalités locales oppose, sont arrivés à associer leurs choix et à bâtir un calendrier commun ! Quand on sait, par exemple, que la Comédie de Reims et le Manège de Reims se sont longtemps regardés en chiens de faïence, on admire cette action harmonieuse en faveur de la création européenne.

Les grands événements devraient être les représentations de Transfer ! par le Polonais Jan Klata (une vision de la conférence de Yalta, avec Churchill, Roosevelt et Staline à la parade), Sous le volcan , d’après Lowry, mis en scène par Guy Cassiers, et deux mises en scène de Thomas Ostermeier, Susn d’Achternbusch et la Pierre de Mayenburg. Mais il y aura des surprises puisque Lagarde ouvre le bal avec un spectacle reflétant les passions littéraires d’Umberto Eco et, dans un autre spectacle, radiographie le sport à travers les textes d’Elfriede Jelinek. Ce qui ne devrait pas relever du théâtralement correct.

Mais, s’il y a une ligne directrice, elle est ailleurs, dans le regard porté par les jeunes écrivains sur l’histoire du XXe siècle. Le titre de la pièce de Yael Ronen que va jouer une équipe germano-israélienne, Troisième Génération , illustre ce changement des perceptions avec l’arrivée d’une nouvelle vague. « La pièce de Ronen, celle de Mayenburg qui suit une famille allemande à travers trois époques, le spectacle sur Yalta posent la question de la mémoire européenne, dit Ludovic Lagarde. Sommes-nous en train d’avoir une mémoire commune sur la Shoah, le nazisme, Yalta ? Le ­théâtre est en train de proposer un nouvel éclairage. Par ailleurs, avec Umberto Eco, autour duquel nous reprenons à Reims la soirée de clôture que j’ai organisée pour boucler son cycle au musée du Louvre, nous nous sommes interrogés sur la question du goût. Avec le voyage des œuvres et des spectacles, la création n’est plus seulement l’affaire des spécialistes, comme naguère. Mais les œuvres ne finissent-elles pas perdre un peu de leur singularité et par être trop semblables entre elles ? »

Culture
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