L’identité brouillée de l’UMP

Après les réformes controversées de cet automne, la majorité est divisée sur le débat lancé par Éric Besson. Son moral s’en ressent à moins de trois mois des régionales.

Michel Soudais  • 24 décembre 2009 abonné·es
L’identité brouillée de l’UMP

L’UMP n’est pas très flamboyante, à moins de trois mois des régionales. En septembre, Xavier Bertrand pariait sur au moins cinq régions conquises au PS. Depuis quelques jours, le secrétaire général du parti présidentiel estime que « chaque région gagnée sera une victoire » . Pourquoi cette soudaine révision à la baisse des ambitions de la droite ? La gauche serait-elle si forte que la droite, qui détient l’Élysée, l’Assemblée nationale et le Sénat mais seulement deux des vingt-deux régions métropolitaines, n’espère plus lui en ravir une poignée ? Certes non.
Mais, depuis la rentrée, les motifs d’insatisfaction se multiplient dans les rangs de la majorité. Il y a d’abord eu la baisse de la TVA sur la restauration accordée sans aucune contrepartie. Puis la suppression de la taxe professionnelle, critiquée par les anciens Premiers ministres Alain Juppé et Jean-Pierre Raffarin, et contre laquelle ont tempêté nombre d’élus locaux, au point que Nicolas Sarkozy a préféré renoncer à se rendre au congrès de l’Association des maires de France. Des élus locaux inquiets aussi du changement de statut de La Poste. Et que trouble la réforme des collectivités territoriales, notamment le projet de fusion des assemblées départementales et régionales.

Cette mauvaise humeur se manifeste principalement au Sénat. Son président, l’UMP Gérard Larcher, a prévenu la semaine dernière Nicolas Sarkozy qu’il n’y avait actuellement « pas de majorité » au palais du Luxembourg pour approuver l’instauration du scrutin uninominal à un tour pour le futur conseiller territorial, voulue par le gouvernement.
Les villepinistes, peu avares de critiques, alimentent encore cette grogne sourde en faisant feu de tout bois. Le jour où Gérard Larcher mettait en garde le chef de l’État, le député Jean-Pierre Grand interpellait François Fillon sur la hausse de 0,5 % du Smic au 1er janvier. Cette augmentation, qui représente « 17 centimes d’euro par jour » , revêt « un caractère indécent » au moment où sont publiés « les salaires, les bonus, les dividendes annuels des hauts revenus » , écrivait-il dans une lettre rendue publique.

Mais c’est surtout le débat sur l’identité nationale qui cristallise le malaise d’une partie de la majorité. Les déclarations de Nadine Morano affirmant au cours d’une réunion publique qu’elle attendait d’un jeune musulman français « qu’il ne parle pas verlan » et « ne mette pas sa casquette à l’envers » ont donné raison à ceux qui, depuis le lancement de ce débat, s’inquiétaient des risques de dérapage. Pour l’ex-ministre chiraquien François Baroin, les propos de la secrétaire d’État à la Famille étaient une « parole en trop ».

« Je me suis démarqué très vite et très tôt de ce débat, que je ne comprends pas parce que je n’en vois pas l’objectif », a lancé le maire de Troyes sur France 5, le 15 décembre. « À quoi bon prendre le risque de faire de l’agit-prop pour ouvrir une auberge espagnole […] à quelques semaines d’une échéance électorale qui évidemment va faciliter les amalgames, les confusions », a-t-il insisté, demandant que l’on «  mette en suspens » ce débat. Avant lui, plusieurs figures de la majorité avaient joint leurs voix à celles de la gauche pour dénoncer, clairement ou à demi-mot, cette tentative d’incursion sur le ­terrain du Front national à quelques mois des régionales. « Ce débat, je voudrais qu’il ne dérape pas ! » , avait demandé le président (UMP) de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer, mettant en garde contre « des attitudes radicales, qu’elles soient dans un sens ou dans un autre » . Commissaire à la Diversité et à l’Égalité des chances, Yazid Sabeg était allé plus loin, s’affirmant « certain » que ce thème ouvrait « un champ et un espace au Front national » . « Je pense que la manière dont le débat a été engagé le rend difficilement contrôlable » , jugeait-il. Christine Boutin, la présidente du Parti chrétien-démocrate, a dénoncé aussi « le piège » d’un débat qui « ne peut que redonner de l’oxygène » au FN et dont elle souhaite qu’on l’arrête « le plus rapidement possible ».

Deux anciens Premiers ministres de la majorité ont également pris leurs distances. « La question de l’identité, ça ne peut pas être une réflexion de comptoir » , a déclaré Jean-Pierre Raffarin, demandant « plus de rigueur intellectuelle » , pour éviter le « populisme » . François Fillon s’y est maladroitement essayé : en clôture d’un colloque de l’Institut Montaigne sur ce qu’est « être français » , le Premier ministre, qui suppléait à la défaillance de Nicolas Sarkozy, a cité positivement… Jacques Bainville. Un historien membre de l’Action française pour qui la République était « la gueuse »  ! Alain Juppé s’était réclamé, lui, d’une autre référence. Citant Ernest Renan, qui écrivait qu’ « aucun citoyen français ne sait s’il est burgonde, alain, wisigoth », le maire de Bordeaux jugeait que « tout est dit » dans ce texte. Et se demandait : « À quoi bon relancer un débat ? »

« Pour moi, la question “qu’est-ce qu’être français ?” ne se pose pas vraiment » , déclarait-il encore dimanche dans le Parisien , en citant, lui, la réponse « apportée avec trois mots » par « les pères fondateurs de la République »  : « Liberté, égalité, fraternité. Ajoutons-y la laïcité et on a l’identité française. »
Histoire d’enfoncer le clou, l’ancien Premier ministre de Jacques Chirac, qui pense que « la vraie question » est de savoir « quelle est la capacité d’accueil de la société française vis-à-vis de ceux qui la rejoignent, en particulier des musulmans » , s’est dit « choqué » par le renvoi à Kaboul de neuf Afghans en situation irrégulière.
Plutôt que sur l’identité française, c’est peut-être sur l’identité de l’UMP qu’Éric Besson devrait se pencher.

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