Nicolas Sarkozy ou le déni social

Le chef de l’État fait l’éloge de son plan de relance sur fond de crise. Une posture dénoncée par les associations de chômeurs et de précaires, qui ont manifesté samedi dernier.

Thierry Brun  • 10 décembre 2009 abonné·es
Nicolas Sarkozy ou le déni social

N’en déplaise aux critiques, Nicolas Sarkozy n’a « pas fait d’erreur » , « la France s’en sort mieux que les autres » et – accrochez-vous ! – il n’a « laissé tomber personne » . C’est en substance l’appréciation très optimiste délivrée par le chef de l’État lors d’un premier bilan de son plan de relance de l’économie. Présenté à la Seyne-sur-Mer (Var) le 1er décembre, ce bilan occulte superbement la réalité sociale qui a été rappelée pendant les manifestations de samedi dernier dans plusieurs villes de France, à l’appel des associations de chômeurs et de salariés précaires. Des millions de personnes subissent en effet de plein fouet l’explosion du chômage, la montée de la pauvreté et les inégalités.
Ce portrait social est absent du tableau brossé par le Président : « L’activité en France a reculé moins qu’ailleurs et elle s’est remise à ­croître dès le deuxième trimestre de cette année. Nous avons moins détruit d’emplois, et notre chômage a moins augmenté. » L’autosatisfaction va plus loin : « Quand on voit que la France aura la plus petite récession, on doit quand même honnêtement se dire que la politique économique conduite y est pour quelque chose ! » Le plan de sauvetage des banques « n’a pas coûté un centime d’euro aux contribuables » , et la priorité à l’investissement est « le seul choix possible ».

Cette politique d’investissement prônée par Sarkozy a ses perdants et ses gagnants. La paupérisation générale de la société, qui atteint des proportions inquiétantes, est accompagnée de cadeaux fiscaux aux plus riches et d’une généreuse distribution de milliards aux banques responsables de la crise, à nouveau dévorées par le démon de la spéculation financière. Le paquet fiscal, qui s’élèvera à 15 milliards d’euros en 2010, bénéficie pour l’essentiel aux ménages aisés, ainsi que la totalité des exonérations fiscales, ce que l’on appelle « les niches fiscales », qui s’élèvent à 70 milliards d’euros. Parmi les gagnants de cette politique, les vingt personnes les plus riches de France, concernées par ce fameux bouclier fiscal, ont touché un chèque de 290 000 euros, l’équivalent de 280 années du travail d’un smicard.

Le « seul choix possible » de la relance par l’investissement et la rigueur a un coût social très élevé. Les récents chiffres du chômage indiquent que 4,63 millions de demandeurs d’emploi (toutes catégories confondues) sont inscrits à Pôle emploi, dont « 40 % enchaînent des petits boulots précaires », soulignent les associations de chômeurs. Elles ajoutent qu’il y a « 8 millions de travailleurs pauvres, dont 80 % sont des femmes ». Le rapport de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles montre aussi qu’environ 30 % des habitants y vivent avec moins de 908 euros par mois, soit en dessous du seuil de pauvreté, contre environ 12 % dans le reste du territoire.
Cette disparité, que l’on retrouve aussi dans les chiffres concernant le chômage, la santé et la réussite scolaire, reflète des inégalités toujours plus criantes. Au cours de la dernière campagne 2008-2009, les Restos du cœur ont accueilli 100 000 personnes supplémentaires, soit 14 % de plus en une seule année au niveau national. Dans 21 départements, le plus souvent ruraux ou semi-ruraux, cette augmentation a même dépassé les 20 %, ce qui fait dire à l’association caritative : « Dans leur histoire, les Restos n’ont jamais connu une augmentation aussi rapide et préoccupante du nombre de personnes démunies : à ce rythme, combien de temps encore pourront-ils faire face ? »

Un an après le coup d’envoi de son plan de soutien à l’investissement de 26 milliards d’euros, le président du « pouvoir d’achat » a ainsi mené une politique de rupture sociale lourde de conséquences pour la France « qui se lève tôt ». La relance est adossée à un budget de rigueur taillant dans les dépenses publiques. Le budget a aussi augmenté différents prélèvements, notamment ceux de la Sécurité sociale (forfait hospitalier, franchises médicales). Les mesures à portée sociale, de nature à soulager les ménages le plus en difficulté, et qui auraient un effet immédiat sur la consommation, sont restées très limitées. Le gouvernement s’est, par exemple, contenté de verser une prime ponctuelle de 200 euros aux allocataires de minima sociaux (soit 760 millions d’euros, 3 % du total du plan de relance). Une portion congrue de 500 millions d’euros a été destinée à améliorer la prise en charge du chômage partiel.

Nicolas Sarkozy a réitéré à la Seyne-sur-Mer son refus d’une politique de rigueur, parce qu’elle « n’aurait aujourd’hui qu’un seul effet, casser la reprise ». Un gros mensonge, car le gouvernement a accepté de ramener avant 2013 le déficit public record de 8,5 % en dessous des 3 % exigés par l’Union européenne. Le ministre du Budget, Éric Woerth, a notamment demandé aux quelque 500 opérateurs de l’État (dont Pôle emploi) de réaliser un milliard d’euros d’économies, étalées sur trois ou quatre ans, et de réduire plus que jamais les effectifs des services publics, lesquels devront appliquer des règles déjà mises en œuvre par l’État, comme le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux à partir de 2011.
L’austérité est donc de mise, mais pas pour tout le monde.

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