Que serait une société décroissante ?

Une vingtaine de chercheurs ont tracé les contours théoriques et pratiques d’une alternative à notre modèle de croissance, plus juste et plus soutenable.

Thierry Brun  • 3 décembre 2009 abonné·es

Pourquoi rester accros à la croissance, alors que les indicateurs écologiques et sociaux attestent que ce mode de développement nous conduit au bord du gouffre ? « L’idéologie de la croissance est si profondément enracinée dans notre imaginaire qu’une décroissance semble véritablement inconcevable » , observe Baptiste Mylondo. Pour démentir cette thèse, l’essayiste a dirigé un ouvrage posant les bases d’une décroissance économique écologiquement et socialement soutenable. L’association Recherche & décroissance, dont il est membre, ­comble ainsi un vide dans ce nouveau champ de recherche, qui gagne en audience à gauche et veut donner une vision réaliste et « désirable » d’une société ayant rompu avec l’impératif de croissance. Cet ouvrage rassemble une partie des contributions de la première conférence internationale sur la décroissance 1, organisée en 2008 par trois spécialistes, Denis Bayon, Fabrice Flipo et François Schneider. Il en ressort que la décroissance économique ne consiste pas seulement à déconstruire un système « diaboliquement cohérent » . Les promoteurs de la décroissance ont voulu ébaucher un projet de société tirant les conséquences des critiques comptable, écologique, mais aussi sociale de la croissance. « Une multitude d’expériences locales s’inscrivant dans une logique de décroissance ne saurait malheureusement constituer une alternative crédible à la société de croissance. De fait, un projet de société de décroissance ne peut se limiter à une réflexion sur la frugalité et la simplicité volontaire. »

Si l’affirmation d’une croissance infinie est impossible, « envisager une décroissance infinie serait tout bonnement insensé » . Il faut donc aborder cet ouvrage comme un ensemble théorique et pratique réfléchissant sur nos modes de production, de consommation, mais aussi sur l’habitat, l’urbanisme, l’éducation, le travail et même le bonheur.
Que serait une transition vers une société dite de décroissance ? Cette transition se heurte à des obstacles multiples : psychologiques, anthropologiques, sociaux et économiques. Et réactive un problème longuement débattu par les marxistes dans les années 1960-1970 :
celui de la transition du capitalisme. Trois économistes considèrent qu’envisager une décroissance soluble dans le capitalisme est une voie sans issue. Certaines contributions pointent les insuffisances d’un discours, dominant au sein du mouvement de la décroissance, qui « peine à s’émanciper de l’imaginaire propre à la société de croissance » , rappelle Baptiste Mylondo.

Astrid Matthey, économiste au Max Planck Institute of Economics d’Iéna, démonte ainsi les ressorts psychologiques de la perception du bien-être par les individus et l’influence du conditionnement, notamment pour montrer que les aspirations des individus peuvent servir de levier « pour ­rendre la perspective d’une décroissance du bien-être matériel acceptable par tous ».
Mais quelle serait cette société décroissante ? Quelques débuts de réponses sont présentés, croisant approches techniques, économiques et expériences concrètes. Les stratégies less de la révolution Slow Food, décrites par Bruno Scaltriti, chercheur en sciences gastronomiques, se sont par exemple traduites par un renforcement du patrimoine végétal et animal. Les filières alimentaires locales permettent aussi de bâtir une relation sociale et économique durable. Les déclinaisons pratiques concernent le logement, l’urbanisme, les transports, etc. L’ensemble nous fait comprendre que des remises en cause sans précédent doivent être imposées à notre société.
Bien des questions demeurent cependant en suspens pour « favoriser des perspectives d’atterrissage en douceur dans le cadre d’une décroissance équitable, globale, soutenable, physique et économique des activités humaines » . Mais ce livre nous fait comprendre que, bon gré mal gré, l’économie que nous connaissons touche à sa fin, et que la décroissance, qui n’est pas une doctrine unifiée, rappelle Fabrice Flipo, cherche « à ­mettre la société instituante en marche pour re­mettre en cause la société instituée » . Certains des scénarios alternatifs expérimentés ici ou là dans le monde s’inscrivent dans cette démarche,
qui s’avère de plus en plus inéluctable avec la conjonction des crises écologique et économique. Les travaux de Recherche & décroissance soulignent ainsi que la décroissance est désormais l’élément essentiel d’un avenir meilleur.


  1. Actes disponibles en anglais sur  
Idées
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