« Réadosser la politique à la société »

Le professeur Philippe Meirieu a pris la tête de la liste Europe Écologie en Rhône-Alpes. L’alliance de militants associatifs avec des militants Verts lui paraît porteuse d’espoir. Entretien.

Ingrid Merckx  • 10 décembre 2009 abonné·es

Politis : Votre engagement au sein d’Europe Écologie comme tête de liste Rhône-Alpes pour les régionales marque-t-il votre entrée en politique ?

Philippe Meirieu : Je suis entré en politique très jeune : j’ai été un militant du catholicisme social, du courant autogestionnaire, du Parti socialiste… Mais je n’avais encore jamais sollicité de mandat électif. En dépit de ma profonde sympathie pour les Verts, je n’ai jamais adhéré à ce parti, n’y voyant pas une force politique assez crédible. Quand il s’agissait de collaborer à l’action publique, je le faisais donc plutôt au PS. Mais le PS m’a beaucoup déçu… J’en étais là, entre des Verts pas mûrs pour devenir un parti de gouvernement et un PS incapable de la moindre imagination politique, quand sont arrivées les européennes. J’ai fait partie de ceux qui ont vu, enthousiastes, émerger avec Europe Écologie un nouveau type d’alliance entre la société civile et les appareils politiques. J’y vois la possibilité de sortir de l’alternance PS-UMP avec une nouvelle conception de la vie politique.

En quoi consiste cette « nouvelle conception » de la vie politique ?

Il y a eu en France une bipolarisation de la vie politique entre l’étatisme et le libéralisme. Le courant issu de l’anarcho-syndicalisme, qui s’est développé dans les coopératives d’inspiration autogestionnaire, a été laminé. J’ai toujours été pour cet autre modèle, qu’on l’appelle « coopératif » ou « économie sociale », où l’entreprenariat n’est pas régi par le profit, où la solidarité est au service du bien commun. Or, justement, l’écologie politique fait du bien commun le centre de gravité de la politique ; elle affirme aussi que c’est par la démocratie et la solidarité qu’on parviendra à le construire, en dépassant les intérêts individuels et collectifs.

Eva Joly, José Bové, Augustin Legrand, vous-même : quelle image cherche à construire Europe Écologie ?

Ces personnes incarnent des combats. Leur visibilité au sein d’Europe Écologie n’est ni de la pipolisation ni un effet de casting. Il faut y voir une volonté de déprofessionnaliser la politique, de remettre dans le jeu politique des acteurs de la vie sociale, de retisser le lien entre le tissu militant authentique et un parti, de réadosser ce parti à la vie sociale. En Rhône-Alpes, je travaille à réunir une liste avec des gens qui incarnent le mouvement associatif, les syndicats, les ONG, l’éducation populaire, la presse alternative, etc. C’est-à-dire des gens qui s’efforcent de faire changer les choses concrètement. Pas seulement des militants politiques, donc, mais un ensemble de militants qui, souvent, sont arrivés à un dégoût non pas de la politique mais de la technocratisation de la politique.

Europe Écologie ne risque-t-elle pas d’apparaître comme un parti d’experts ?

Europe écologie est une dynamique qui compte des experts mais surtout des gens qui mobilisent des réseaux militants et représentent des leviers possibles d’action sur la société. La politique s’était coupée d’eux. On était même dans un système où les partis contrôlaient le secteur associatif, chacun ayant « ses » associations, « ses » syndicats… Avec Europe Écologie, c’est le fonctionnement inverse. Sur la liste que je vais conduire, nous avons adopté comme principe d’alterner des Verts et des personnalités de la société civile. Et ce n’est pas le parti qui élabore seul la proposition finale. Aucun parti n’a jamais fait ça jusqu’ici.

Comment oublier l’échec des collectifs antilibéraux ?

J’ai cet échec en tête, j’ai participé à des réunions des collectifs antilibéraux… Aux européennes, on a remarqué qu’Europe écologie avait une réelle prise sur le tissu électoral. Cette expérience donne confiance. Il faut transformer l’essai. En Rhône-Alpes, Europe Écologie est arrivée en 2e position et devant le PS. Mais la première bataille, c’est de combattre la droite… Et nous devons mobiliser les abstentionnistes. Si nous y parvenons et leur redonnons goût à la politique, ce sera une grande victoire.

Commencez-vous une nouvelle carrière ?

Je viens d’avoir 60 ans. J’avais d’autres projets. Mais des militants et des responsables nationaux m’ont sollicité. J’ai accepté parce que je suis convaincu qu’on peut enfin changer de logiciel politique. De plus, le budget de la région est consacré à 60 % à l’éducation et à la formation. Deux domaines sur lesquels j’ai beaucoup travaillé. Mais c’est une équipe qui s’engage, avec des vraies complémentarités et une forte dynamique. Nous avancerons ensemble. Nous inventerons, avec les citoyens de Rhône-Alpes, les moyens de sortir de la crise écologique, sociale et démocratique. C’est une expérience particulièrement enthousiasmante. L’écologie a parfois tenu le discours de la peur ; elle est prête à porter aujourd’hui le discours de l’espoir et de la mobilisation collective.

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Régionales : des Verts très ouverts
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