Un autre rapport à la politique

Avec Europe Écologie, les écologistes sont convaincus de pousser une dynamique novatrice, et se défendent de sacrifier
à une simple stratégie électoraliste.

Patrick Piro  • 10 décembre 2009 abonné·es

En général, les écologistes jurent qu’il n’a pas été établi de listes systématiques de noms à contacter. D’autres reconnaissent que des « profileurs » se sont mis en chasse. Daniel Cohn-Bendit, surtout, agace les Verts. L’une de ses dernières tentatives de débauchage : Martin Hirsh, le haut-commissaire aux Solidarités actives du gouvernement Fillon.
Franck Laval, porte-parole de l’association des Amis d’Europe Écologie, se justifie sans complexe. « Dès juin, notre première bataille a été de réfléchir à des têtes de liste incarnant l’ouverture » . Ainsi, pour la magistrate Laurence Vichnievsky, en Provence-Alpes-Côte-d’Azur : « Un cas très intéressant. Sa candidature apparaîtra comme particulièrement judicieuse dans une région qu’empoisonnent les affaires judiciaires, et sa carrure la rend crédible pour diriger la région. Les Verts ont fini par convenir qu’elle ferait tout à fait l’affaire comme tête de liste. »

Casting : un mot qui fâche… 

Le mouvement Europe Écologie a bien déployé une stratégie nationale de mise en avant de « noms ». Un « casting » ? Le terme fâche par sa connotation dévalorisante. « Plusieurs de ces personnalités sont venues elles-mêmes nous trouver ! » , se défend Jean-Vincent Placé, numéro deux des Verts. Rencontres provoquées, rapprochements plus ou moins spontanés ? Il est en tout cas exact que Philippe Meirieu ou Stéphane Gatignon se sont déclarés publiquement dans les médias. Pierre Larrouturou ? Il a des accointances avec les Verts depuis longtemps. Robert Lion se serait signalé, Laurence Vichnievsky a été motivée par Eva Joly, dont elle fut l’équipière, etc.
Le cas d’Augustin Legrand met tout le monde d’accord : oui, on a bien été le chercher, c’est « Dany » qui s’en est chargé. Devenu très médiatique par son engagement de défenseur des SDF avec son association les Enfants de Don Quichotte, il avait décliné l’offre pour les européennes, par crainte d’être récupéré. Il a finalement accepté pour les régionales, terrain plus adapté à son combat.

« Pipole » fâche encore plus…

La présence de l’acteur, en particulier, justifie chez certains l’accusation de « faire du pipole ». Augustin Legrand et David Douillet (qui vient d’être élu député UMP dans les Yvelines), même combat ? Et le cas Marie Bové, fille de José ? En raison d’un patronyme qui peut peser quelques pourcents supplémentaires dans les urnes, les non-Verts, appuyés notamment par le député Vert Noël Mamère, ont revendiqué pour elle la tête de liste en Aquitaine. Agacés, les écologistes arguent que leurs candidats ont bien plus qu’un nom à faire valoir : un parcours et des engagements. « Marie Bové est une vraie militante, altermondialiste et syndicaliste, elle a des réseaux et veut s’impliquer durablement » , tranche Franck Laval.
Des griefs à l’encontre d’opportunistes, Jérome Gleize, économiste, pourrait en concevoir : il fait partie des Verts dont la candidature a été recalée en Île-de-France, malgré ses états de service. « Il n’y a rien à dire sur Augustin Legrand. Je peux témoigner de son engagement auprès des SDF : d’un point de vue militant, c’est extraordinaire… Si l’on avait voulu jouer la carte pipole, il ne serait pas en 3e position sur la liste de Paris. Tous ces candidats participent à la crédibilité de notre démarche. »

« Où est le problème, finalement ? Cette écologie qui veut changer les choses, elle réside aussi dans la société, où de vrais militants mènent de vrais combats » , appuie Pascal Durand, délégué national d’Europe Écologie après en avoir été directeur de campagne pendant les européennes.
De fait, les écologistes ont aujourd’hui le sentiment de faire céder le vieux cordon sanitaire érigé par la société civile autour des partis, par crainte sempiternelle de la récupération politique. « Qualifier ce mouvement de “casting” est un peu court, ça ne masque pas la vraie question : dans bien des domaines, la société civile n’a pas été capable d’obtenir des débouchés pour ses combats, analyse Patrick Farbiaz, secrétaire du groupe des Verts-Paris XXe. Alors, de plus en plus de militants concluent qu’il leur faut passer à l’engagement politique. Et là, l’offre est réduite, quand on est à gauche. Le PS en décomposition ? Les partis de gauche aux vieux « logiciels » ? Europe Écologie, qui a montré sa capacité à réunir une famille très diverse, des écologistes libéraux aux altermondialistes, leur offre une ouverture inespérée. »

Des militants Verts bousculés.

Des candidatures choisies en dehors des partis, des militants politiques tenus de laisser la place à des personnalités sans expérience des batailles électorales… Les Verts Aquitaine se sont rebiffés. Marie Bové n’aura « que » la tête de liste en Gironde. Ça râle donc, chez les Verts ? « Eh bien, pas tant que cela, au-delà des habituelles empoignades entre courants, signale Patrick Farbiaz. Et puis les humeurs vertes ne sont parfois pas très nobles. Tout le monde veut l’étiquette “Europe Écologie” dans l’espoir de rééditer le coup des européennes, mais pas toujours accepter les concessions qui vont avec ! La dynamique Europe Écologie rompt les vieux équilibres du parti et casse une pseudo-identité dont il se satisfait. Ça met en péril les avantages acquis, mais ça fait entrer de l’oxygène. »
Europe Écologie s’est définie comme un réseau social, avec militantisme à la carte, adapté à l’évolution de la société. « On voit disparaître la figure du distributeur de tracts, engagé à vie sur une option idéologique, assistant à d’interminables réunions de section, poursuit Patrick Farbiaz. Le militant, aujourd’hui, c’est un internaute qui échange avec des milliers de personnes, un défenseur des sans-papiers ou un antinucléaire, une personne qui se consacre un temps à la gestion publique, etc. » « À la limite, je ne me choquerais pas d’un candidat qui n’aurait jamais milité » , précise Jean-Vincent Placé, qui assure que les Verts tirent profit de la « très forte plus-value » du contact d’Europe Écologie avec la société.
En sourdine pour l’instant : le processus de désignation des candidats non-Verts. Il s’apparente pour l’instant à de la cooptation simple, avec validation par les instances régionales vertes. « Cette démocratie interne à laquelle les Verts sont très attachés ne se retrouve pas dans la constitution des listes aux régionales » , déplore Patrick Farbiaz.

Une stratégie électoraliste ?

Comme cela avait été le cas pour les européennes, le club des « non-Verts » en lice vise à faire surgir une cohérence nationale aux campagnes menées en région. Mais, alors qu’il avait pris soin de ne pas dévoyer le débat des européennes sur le terrain de la politique franco-française, Cohn-Bendit a résolument placé la bataille des régionales dans la résistance à Nicolas Sarkozy. « Notre positionnement est clair : contre la majorité de droite autoritaire » , résume Jean-Vincent Placé.
Identifier Europe Écologie comme « meilleur opposant » au clan du président : c’est l’une des ambitions affichées pour les scrutins de mars. La première, c’est d’emporter les trois régions gagnables – Île-de-France, Rhône-Alpes et Paca, les plus « lourdes » de France. Contre la droite, c’est donc éventuellement avec le MoDem. Plusieurs cadres du petit parti Cap 21 sont ainsi accueillis sur des listes Europe Écologie. Sa présidente, Corinne Lepage, vice-présidente du MoDem et un temps courtisée par Cohn-Bendit, n’en serait pas mécontente.
« Arrêtons pourtant d’invoquer une dérive centriste ! , s’élève Jean-Vincent Placé. Au second tour, c’est avec la gauche que nous discuterons, il n’y a aucune ambiguïté. Ensuite, on verra si on ouvre davantage. » Pour le stratège Vert, le garde-fou tient en un mot : le projet politique. « Même avec Dany, personne n’a de problème sur le fond. Notre programme, c’est d’imposer le paradigme de l’écologie politique, un modèle économique, social, environnemental et démocratique. À ceux qui nous rejoignent d’y adhérer. Nous avons conscience de mettre en route une énorme dynamique politique, qui dépasse les objectifs électoraux. »

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Régionales : des Verts très ouverts
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