« Un signal adressé à l’opinion »

Les expulsions vers l’Afghanistan se multiplient. Damien Nantes, de la Cimade*, réclame l’arrêt des renvois vers les pays en guerre et un moratoire sur la Convention de Dublin II.

Ingrid Merckx  • 24 décembre 2009 abonné·es

Politis : Neuf Afghans ont été renvoyés dans leur pays le 15 décembre sans laissez-passer de leur ambassade. Que s’est-il passé ?

Damien Nantes : Un passage en force. L’ambassadeur d’Afghanistan en France a refusé de délivrer des laissez-passer pour ces neuf personnes. Elles ont néanmoins été expulsées le 15 décembre et sont arrivées à Kaboul, où rien ne garantit leur accueil et leur sécurité. Le ministère de l’Immigration est donc passé par-dessus l’autorité de l’ambassadeur. Visiblement, il a obtenu des assurances directement en Afghanistan. La délivrance de ­laissez-passer relève du pouvoir souverain et reste très liée aux relations diplomatiques. Tout dépend des accords entre États. Certains pays en délivrent quasi automatiquement, comme la Turquie et l’Algérie. ­D’autres sont plus attentifs au sort de leurs ressortissants ou plus rigoureux sur la vérification des identités. Les Afghans expulsés le 15 décembre n’avaient pas de recours juridique possible. En revanche, leurs autorités auraient pu les refuser. Ils seraient alors revenus en France. Reste que, s’il s’était agi d’un ressortissant américain, par exemple, la France ne se serait pas permis de l’expulser sans laissez-passer de son consulat. Cette affaire en dit long sur les relations entre la France et l’Afghanistan.

Il y a déjà eu un charter d’Afghans début octobre. Les migrants afghans sont-ils particulièrement en difficulté actuellement ?

Ils sont victimes d’un acharnement. C’est d’abord un signal adressé à l’opinion publique pour lui signifier que les autorités mènent une politique ferme et sont prêtes à renvoyer des migrants, y compris vers des pays en guerre. Engagée militairement en Afghanistan, la France est pourtant bien placée pour savoir que rien n’y garantit la sécurité des personnes. Pour celles qui ont été expulsées en octobre, on a entendu dire qu’elles étaient renvoyées dans des zones sans risque. Et c’est faux ! Il n’y a aucune étude des situations individuelles. On entend aussi répéter que les expulsés du 15 décembre avaient épuisé toutes les voies de recours. C’est encore faux, ils n’avaient entamé aucune démarche. Plusieurs raisons à cela : en rétention, un juge des libertés les avait rassurés concernant une éventuelle expulsion. Comme beaucoup de migrants, ils ont connu des parcours si compliqués qu’ils ne savaient plus à qui se fier. Enfin, ils n’avaient qu’une crainte : déposer une demande d’asile et tomber sous le coup de la convention de Dublin II, qui les aurait fait renvoyer vers la Grèce, pays par lequel ils sont entrés en Europe. Ce pays ne respecte pas le droit d’asile. Ils n’avaient donc pas de solution pour demander une protection. Depuis le démantèlement de la jungle de Calais, les placements d’Afghans en centre de rétention n’ont pas cessé. D’autres sont aujourd’hui menacés d’expulsion. En rétention, les demandes d’asile sont des procédures prioritaires, expéditives. Obtenir un statut de réfugié y relève de la gageure. Or, depuis quelques semaines, trois statuts sont accordés à des Afghans par semaine. C’est dire s’ils sont jugés en danger ! Cela n’empêche pourtant pas les renvois.

Quel jeu la France et l’Angleterre jouent-elles dans ce dossier ?

Elles ont clairement procédé à des tractations. Les dernières expulsions organisées par la France sont également des signes adressés aux Anglais. Par ailleurs, beaucoup d’idées fausses circulent sur la volonté des Afghans de passer en Angleterre. Cela fait partie du discours véhiculé pour justifier leur expulsion. C’est pourtant loin d’être évident. Les Afghans sont conduits et contraints au passage vers l’Angleterre, où la communauté afghane est assez nombreuse, et où la situation a longtemps été réputée plus facile pour les réfugiés. D’une part, c’est en train de changer ; ­d’autre part, si les Afghans veulent quitter la France, c’est surtout parce qu’ils redoutent d’y déposer une demande d’asile et d’être, du coup, expulsés. La Cimade négocie donc avec les préfets – qui ont la possibilité de passer outre la Convention de Dublin II – pour que les Afghans sortant de rétention soient admis en tant que demandeurs d’asile sur notre territoire. Au niveau de l’Europe, l’asile est considéré comme un élément de la politique migratoire et sécuritaire. Les États se mettent d’accord sur les quotas d’expulsions sans s’être jamais concertés sur les conditions de régularisation, les garanties pour les personnes, et l’accès au statut de réfugiés. C’est la loterie.

Qu’en est-il du statut de réfugié face à un pays en guerre ?

Aucun texte international n’interdit formellement de renvoyer quelqu’un vers un pays en guerre. Les États s’engouffrent dans ce vide juridique. On se fonde donc en général sur la Convention européenne des droits de l’homme, qui interdit d’exposer une personne à des traitements inhumains ou dégradants. Il existe des textes reconnaissant des situations de guerre civile. Mais la Convention de Genève, par exemple, ne prévoit de protection que lorsque la persécution provient des autorités publiques. Pour les personnes qui ne relèvent pas de l’asile conventionnel mais nécessitent une protection – comme les Algériens dans les années 1990 –, a été créée la notion d’asile territorial. Mais cette protection subsidiaire ne donne droit qu’à une carte de séjour d’un an. L’urgence, c’est d’arrêter les renvois vers l’Afghanistan. Il faut aussi mettre un moratoire sur la Convention de Dublin II afin de permettre aux réfugiés d’entamer des démarches sans rester bloqués dans la clandestinité.

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