2010 : l’odyssée de l’espèce

Alors que démarre l’année de la biodiversité, il faut arrêter de se payer de mots et agir enfin, car l’enjeu dépasse le simple plaisir du naturaliste pour prendre une dimension économique et sociale.

Claude-Marie Vadrot  • 28 janvier 2010 abonné·es
2010 : l’odyssée de l’espèce

Voici que commence, sous l’égide de l’ONU, pour mobiliser la collectivité mondiale, l’année de la biodiversité. Mot inventé dans les années 1980 et adopté par les Nations unies à la conférence de Rio de Janeiro en 1992. Un mot technocrate et prétendument savant pour remplacer l’expression « protection de la nature », dont on peut penser qu’elle faisait trop facilement image auprès de l’opinion publique pour certains scientifiques et de nombreux politiques. La France, l’Europe et le reste du monde ne jureront plus en 2010 que par cette biodiversité qu’il faut préserver ou restaurer partout où nous l’avons mise à mal.

L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) nous informe régulièrement du nombre et du nom des espèces en voie de disparition, qu’il s’agisse de la France où de contrées lointaines. Avec évocation fréquente de la menace, pour la planète, d’une « sixième extinction » : allusion aux cinq vagues de disparition massive d’espèces provoquées dans le passé par des catastrophes ou des variations de conditions climatiques toutes naturelles. Cette fois, l’action humaine est en cause ; action conjuguant les effets du changement climatique et les destructions des milieux naturels. Sans intervention de l’homme ou sans catastrophe, une espèce de mammifère jouit d’une espérance de vie d’un million d’années, chiffre qui peut s’élever à une dizaine de millions pour des oiseaux, des invertébrés ou des plantes. Au ­XXIe siècle, si la destruction des habitats et les modifications climatiques se poursuivent au même rythme, l’espérance de survie de nombreuses espèces peut se voir réduite à 200 ou 300 ans.

La difficile préservation de la ­bio­diversité n’est pas seulement destinée à conserver un vaste champ d’observation et un terrain de jeu aux naturalistes, ni à protéger les quelques espèces d’oiseaux ou de mammifères emblématiques que tout le monde connaît pour les avoirs « vus à la télé » ou, plus rarement, dans le milieu naturel. L’enjeu de la biodiversité, au-delà des plaisirs de l’observation dans la nature, est d’abord économique et social. La nécessaire ­préservation concerne toutes les plantes et les arbres cultivés, dont le nombre de variétés diminue régulièrement et rapidement sous l’action des grandes sociétés agroalimentaires, celles-ci poussant, voire contraignant, les agriculteurs à n’avoir recours qu’à quelques-unes des variétés qu’elles ont sélectionnées ou inventées, ne serait-ce que pour pouvoir en ­vendre les plants ou les semences.

La création d’hybrides qui ne peuvent pas se reproduire à l’identique et les semences OGM illustrent ce système. Quelques variétés sont ainsi devenues la rente exclusive d’une poignée de multinationales. Combien de genres de pommes trouve-t-on dans une grande surface ou même sur un ­marché, alors qu’il y a deux cents ans existaient en France environ cinq mille sortes de pommiers, chacune adaptée à un sol, à des habitudes ou à un microclimat ? La même remarque vaut pour les céréales, les salades et de nombreux légumes. Conséquence évidente : ces derniers n’étant plus vraiment adaptés à un climat ou à un sol, il faut compenser avec des engrais et des pesticides. Indice visible de la disparition de cette biodiversité, les maraîchers font pousser en France et sur la planète entière les mêmes salades ou les mêmes carottes. Cette simplification du patrimoine mondial concerne également quelques races de bovidés, de porcs ou de moutons, exploitées sur tous les continents aux dépens des races locales adaptées à une région ou à un type de nourriture. Aujourd’hui, la vache Prime Holstein élevée au tourteau de soja domine le monde entier. Au risque d’une simplification non sans danger, comme pour les fruits et légumes.

La préservation de la biodiversité sauvage est essentielle, et la simplification du milieu dit naturel est dangereuse, car il faut conserver un capital à même de remplacer ou de conforter un patrimoine domestique de plus en plus fragilisé, à la merci d’une maladie destructrice, et qu’il faudrait remplacer en cas de catastrophe sanitaire, par exemple. Comme cela s’est produit dans le passé pour le maïs, la vigne, la poule ou le mouton.
D’autre part, les milieux naturels recèlent encore de nombreuses promesses de médicaments ou d’éléments nutritifs à venir. Les scientifiques avancent que si 2 millions d’espèces ont été répertoriées, il en reste au moins 6 millions, notamment pour les plantes, les invertébrés, les insectes, voire les poissons, encore mal ou pas identifiées. Et, tandis que le milieu naturel s’appauvrit, les chercheurs-chasseurs des grandes multinationales se dépêchent de parcourir la planète pour isoler de précieux gènes et des principes actifs à breveter pour les revendre.

Écologie
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