Alain Bashung, dernière tournée

Un disque et un DVD retracent la série de concerts 2008 d’Alain Bashung. Et un coffret rassemble la majeure partie de son œuvre, unique et impérissable.

Jacques Vincent  • 14 janvier 2010 abonné·es
Alain Bashung, dernière tournée
© Dimanches à l’Élysée, Bashung, Barclay, 2 CD. À L’Olympia, Bashung, Barclay, DVD. À perte de vue, Bashung, Barclay, 27 CD.

Printemps 2008. Alain Bashung sort Bleu Pétrole, un disque somptueux. Mais l’événement – ce qu’est toujours un nouvel album de Bashung – ne vient malheureusement pas seul. Il s’accompagne d’une mauvaise nouvelle : l’homme est malade, gravement. Pas question pour autant d’annuler la tournée prévue ni même un concert. Au contraire, choisir la vie. Du coup, cette tournée, on l’a suivie comme un bulletin de santé ; chaque concert donné était une nouvelle ­raison d’espérer. Voir le chanteur sur scène aussi, tête et voix hautes, comme si, malgré la maladie qui continuait sa destruction, à ce moment-là, c’était lui qui commandait. Concerts majestueux, émouvants et beaux, concerts électriques, habités, chaleureux. On arrivait inquiet, on repartait avec du baume au cœur. Car c’était encore lui qui nous réconfortait. Sublime paradoxe. À l’inverse, les concerts annulés du début 2009 ont ravivé l’inquiétude, qui a encore grandi lors de la soirée des Victoires de la musique. Jusqu’à cette conclusion aux informations du soir du 14 mars. Plus rien ne s’opposait à la nuit.

Auparavant, Bashung avait eu le temps de superviser l’édition de ce double CD et du DVD qui en est le pendant, comme du coffret qui retrace une grande partie de sa carrière. Les deux premiers rapportent le souvenir de cette dernière tournée ; vingt-trois morceaux à chaque fois, mais pas tout à fait les mêmes. L’un enregistré à l’Olympia, l’autre à l’Élysée Montmartre. Une tournée placée sous le signe de la sobriété. Pas de fioritures, pas de décor sophistiqué, de vidéos ou de jeux de lumières complexes. Quatre musiciens magnifiques, qu’il faut citer comme Bashung ne manquait jamais de le faire chaque soir : Yann Péchin aux guitares, Bobby Jocky à la basse, Arnaud Dieterlen à la batterie et Jeff Assy au violoncelle. Et Bashung, au geste sobre mais élégant. Et toute la force de ces chansons dont beaucoup ont connu là leurs meilleurs moments. De « Comme un Lego », longue épopée tragique signée Manset, à cette reprise, seul à la guitare sèche, du « Nights in White Satin » des Moody Blues, dans lequel il avait, sur Osez Joséphine , su voir autre chose qu’un simple slow et le transformer en une chanson d’amour blessé. Ici, en fin de concert, avec ces derniers mots répétés, « I love you, I love you… », on peut aussi le voir comme le dernier geste d’amour envers son public.

Il y a évidemment beaucoup d’émotion à revivre ces moments, à réentendre ces versions dont certaines tiennent de la magie pure (« J’passe pour une caravane » est à pleurer) tant elles sont délestées de tout ce qui pourrait les éloigner d’une absolue évidence. L’émotion est encore plus vive à entendre Bashung prononcer quelques mots entre les morceaux. Annonçant cette reprise du « Everybody’s Talkin’ », une « chanson sublime » de Fred Neil dont Nilsson avait fait un hit via Macadam Cowboy, ou commentant une improvisation sur l’intro du « Blowin’ in The Wind » de Dylan. Vers la fin, il présente « Vertige de l’amour » par cette phrase : « C’est un objet préhistorique mais pour lequel on peut aussi avoir un peu de tendresse. » C’est le mot qui nous manquait pour dire ce qui traverse aussi ces concerts. Tendresse pour ses chansons et pour son public. Sur le DVD, on voit régulièrement la caméra s’attarder sur des visages heureux.

Parallèlement, sort un coffret qui regroupe l’intégralité des enregistrements d’Alain Bashung depuis Roman-Photos en 1977 : les douze albums studio, les cinq live, les deux albums avec Chloé Mons, auxquels s’ajoutent deux disques d’instrumentaux et trois de raretés, versions alternatives et reprises, de Presley, Dick Annegarn, Nino Ferrer, trois disques qu’il ne faudrait surtout pas considérer comme anecdotiques, et dont on regrette qu’il faille se procurer l’ensemble pour profiter des trésors qu’ils recèlent. Le coffret est intitulé À perte de vue , reprenant un titre de Chatterton . C’est un beau titre et c’est une somme. Une somme de musiques et de mots, de poésie électrique en français. C’est tout Bashung. Quelque chose d’absolument unique que rien ne peut résumer. L’œuvre d’une vie qui accompagne la nôtre depuis longtemps et continuera à le faire. C’est à l’idée qu’il n’y aura plus de nouvelles chansons ni de nouveaux disques que l’on n’arrive toujours pas à se faire.

Culture
Temps de lecture : 4 minutes