Burkina Faso, des décès évitables

Amnesty International lance une campagne pour prévenir la mortalité maternelle.

Léa Barbat  • 28 janvier 2010 abonné·es
Burkina Faso, des décès évitables

Au départ, une rumeur : « Au Burkina Faso, tout le monde connaît une femme morte en couches. » Un dicton : « Une femme enceinte a un pied dans la tombe et un pied sur la terre. » Puis des statistiques : 2 800 Burkinabés meurent chaque année en donnant naissance à un enfant, « soit une femme toutes les trois heures » , résume Salvatore Saguès, d’Amnesty International. Or, la plupart de ces décès auraient pu être évités. Après deux ans de recherches autour de 50 cas de femmes mortes pendant la grossesse ou l’accouchement, l’association a lancé, le 27 janvier à Paris, un rapport et une campagne pour prévenir la mortalité maternelle au Burkina Faso. Problème récurrent dans toute l’Afrique, celle-ci est souvent considérée comme une fatalité, voire une volonté de Dieu.

Les femmes meurent principalement d’hémorragies, d’infections, de rupture utérine, de n’avoir pu accéder à temps à un centre de santé, de n’avoir pu payer les frais de personnel médical… Mais le Burkina se classe parmi les pays les plus pauvres de la planète : 46,6 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, 80 % en milieu rural. En 2006, le gouvernement a mis en place une stratégie prévoyant, entre autres, de subventionner à 80 % les soins obstétricaux et néonatals d’urgence, de former les personnels de santé, de construire des centres de santé primaires, d’encourager les accouchements dans les ­centres, etc. Trois ans plus tard, le nombre de décès recule, mais trop ­lentement. En 1999, 486 femmes décédaient pour 100 000 naissances, contre 307 en 2008.

La question des décès évitables représente une violation du droit à la santé, martèle Amnesty, qui adresse une série de recommandations au gouvernement burkinabé et à la communauté internationale. En tête : s’attaquer aux discriminations. « Un membre de l’Assemblée nous a dit : “Si les hommes portaient les enfants à la place des femmes, il y aurait beaucoup moins de morts” », confie Gaétan Mootoo, un des chercheurs de l’organisation.

Outre les mariages précoces et forcés et les mutilations génitales, les femmes burkinabés dépendent entièrement de leur mari. Sans leur autorisation, pas d’accès aux soins ou aux contraceptifs. Salvatore Saguès explique : « On ne préconise pas la contraception pour que les femmes aient moins d’enfants, mais pour qu’elles puissent espacer les grossesses. Des jeunes femmes de 25 ans ont déjà eu six enfants, pas étonnant que leur corps lâche ! » Suite des recommandations : développer les services de planification et améliorer l’accès aux soins. En effet, les femmes sont contraintes de parcourir plusieurs kilomètres avant de trouver un ­centre, où, bien souvent, le manque de personnel vient augmenter les risques. Le manque d’hygiène et de matériel contraint les patients à acheter eux-mêmes le matériel (gants, eau de javel) nécessaire aux soins. Dépourvus de réfrigérateur, les établissements ne peuvent conserver les dons de sang. D’où la nécessité de développer les banques de sang dans le pays, puis d’informer les habitants sur leurs droits et d’améliorer la gestion du système de santé, frappé par la corruption. Amnesty réclame surtout la mise en place d’une exemption totale des coûts pour les soins obstétricaux d’urgence. Salvatore Saguès se montre confiant : « Tous les obstacles, géographiques ou financiers, peuvent être franchis rapidement. Le gouvernement burkinabé a une réelle volonté de faire avancer la situation. » Il devrait rencontrer le ministre de la Santé et le président de l’Assemblée nationale dans les semaines qui viennent.

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