Ici est l’ailleurs

Le festival Sons d’hiver propose cette année
une redécouverte
du reggae et de la musique du Nigérian Fela.

Denis Constant-Martin  • 28 janvier 2010 abonné·es

Derrière l’expression « musiques afro-américaines », une extrême variété de genres et de styles musicaux se déploie. Mais ils ne ­cessent de se croiser et de s’enrichir mutuellement. Le festival Sons d’hiver propose cette année deux exemples de la réinterprétation de musiques d’ailleurs par des artistes afro-américains. Le percussionniste Hamid Drake est réputé non seulement pour la subtilité de son jeu, mais aussi pour sa curiosité et sa capacité à donner une dynamique nouvelle à des rythmes empruntés aux Caraïbes, à l’Amérique latine et à l’Afrique. Lié à l’AACM de Chicago, mouvement qui a joué un rôle insigne dans le renouvellement de la « grande musique noire », il a poursuivi avec son groupe, Bindu, des expériences diverses, mettant en valeur des saxophones puis des cordes. Dans la dernière version de son orchestre, des trombones sont utilisés pour conférer à une musique inspirée du reggae une belle couleur cuivrée.

Car c’est bien à la musique jamaïquaine qu’Hamid Drake entreprend de donner de nouvelles dimensions. Il a su, avec la complicité du bassiste Josh Abrams et du guitariste Jeff Parker, préserver la souplesse polyrythmique et la puissance du déhanchement caractéristique du reggae ; il parvient même à reproduire dans l’écho des trombones des procédés de prise de son chers à Lee Perry. Mais, loin de la réplication stéréotypée des riddims qui se répète de dub en drum’n’bass, il retravaille ces rythmes, les orne de beat box vocale, pour les développer de manière à ce qu’ils deviennent un tremplin pour l’improvisation où guitare et trombones font merveille. Le CD Reggaeology donne une belle image de cette musique dense et élaborée qui ne cesse jamais pourtant d’être festive.

Michael Veal, lui, poursuit une ­double carrière de professeur d’ethnomusicologie à Yale et de poly-instrumentiste. Auteur d’une biographie du Nigérian Fela Anikulapo Kuti, il l’aborde un peu à la manière dont Hamid Drake envisage le reggae. S’il ne parvient pas tout à fait à rendre l’étirement du temps qui traversait les interprétations de Fela, il permet à quatre excellents saxophonistes de s’évader de leurs mondes habituels. Le passage de l’ancien batteur de Fela, Tony Allen, au cours du même concert permettra d’intéressantes comparaisons. Ainsi revus, le reggae et l’art de Fela révèlent des pans inédits de leur universalité.

Culture
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