« La Justice n’économise pas, elle rétrécit »

Selon le juge d’instruction Matthieu Bonduelle*, la RGPP
ne se traduit pas par une optimisation des moyens mais
par un saccage des structures.

Ingrid Merckx  • 14 janvier 2010 abonné·es

Politis : Multiplication de visioconférences dans les tribunaux, réforme de la Protection judiciaire de la jeunesse et de la loi pénitentiaire, carte judiciaire… la RGPP a démarré en 2007 au ministère de la Justice sur le mode : « rationaliser » les structures pour « optimiser » les moyens. Qu’est-ce que cela signifie ?

Matthieu Bonduelle : En fait de rationalisation, il s’agit d’une politique de rigueur. Quand Nicolas Sarkozy est arrivé à la tête de l’État, il a dit que certains ministères, dont la Justice et l’Éducation, ne seraient pas touchés par la politique de restructuration marquée par la règle du non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux. On constate l’inverse. La réforme de la carte judiciaire, première mesure découlant de la RGPP, ne se traduit pas par une optimisation des moyens mais par un saccage des structures. Dans le choix des tribunaux à supprimer, ce ne sont pas des critères rationnels qui ont été retenus, mais des critères politiques – étiquette du maire plutôt que l’activité du tribunal ou son ancienneté. Et la liste des suppressions a été arrêtée avant le retour de la consultation envoyée aux chefs de juridiction. Les économies annoncées ne sont que prétexte, car la réforme de la carte judiciaire coûte cher : déménagement, indemnisation de personnels déplacés… Elle n’implique pas seulement des transferts de charges mais des suppléments de charges pour les tribunaux restants. On ignore le montant de l’opération. Cela mériterait le lancement d’une mission d’enquête parlementaire.

La RGPP a-t-elle un impact direct sur le fonctionnement de la justice ?

La réforme de la carte judiciaire éloigne la justice des gens. Plus globalement, la RGPP favorise le développement d’instructions qui nuisent à la qualité de la justice rendue. Par exemple, une récente circulaire demande d’utiliser la visioconférence pour réduire de 5 % le nombre d’extractions [le fait de sortir un détenu de prison pour l’emmener voir un magistrat, NDLR]. Encadrés par des policiers, ces déplacements relèvent du ministère de l’Intérieur. La circulaire précise que, si les – 5 % ne sont pas atteints, le ministère de la Justice devra ­rembourser l’Intérieur « dans le cadre de la RGPP ». Chaque tribunal se voit donc obligé de remplir des tableaux indiquant le nombre de visioconférences organisées, sous peine de sanctions. Or, le code de procédure pénale stipule, et la Cour européenne des droits de l’homme appuie dans ce sens, que la visioconférence doit rester un dispositif exceptionnel : on n’auditionne pas aussi bien devant une caméra que dans son bureau. Avec de telles pressions budgétaires, on commence à toucher à la qualité de la justice.

Quelles sont les premières conséquences de la RGPP sur les structures ?

Elle se traduit surtout par des réductions d’effectifs : la Justice recrute de moins en moins de fonctionnaires et de magistrats. Or, les besoins n’ont pas baissé : les gens ont de plus en plus recours à la justice civile, et l’activité pénale a explosé en raison des politiques sécuritaires. On manque de magistrats, de greffiers, de fonctionnaires. Le personnel est un poste de dépense important. Autre poste important : l’immobilier, que la carte judiciaire a plutôt fait exploser avec des extensions de tribunaux. La Loi organique relative aux lois de finance (LOLF) prévoit d’éviter les dépenses inutiles mais, sur le terrain, on fait face à des logiques absurdes. L’enveloppe d’un tribunal est calculée sur son activité de l’année passée. Il a donc intérêt à dépenser beaucoup s’il veut une enveloppe importante pour l’année suivante. On observe un développement abusif du nombre d’expertises ADN et d’écoutes téléphoniques, qui non seulement remplacent le travail de terrain mais sont très coûteuses. Enfin, on remarque une privatisation rampante dans les tribunaux, où l’on a déjà recours à des services privés de gardiennage et où il est question de privatiser les escortes, jusque-là assurées par la police. Tout le monde souhaite éviter la gabegie, mais la RGPP est surtout une stratégie idéologique sans efficacité économique prouvée. Après deux ans de RGPP, les tribunaux continuent à crier famine. Certains, comme à Nice, sont en cessation de paiement. À Bobigny, les interprètes subissent des retards de salaires. La RGPP n’est pas une logique de rationalisation mais de rétrécissement des services.

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Services publics : le coup de grâce ?
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