La RGPP, une machine à broyer

Thomas Coutrot  • 14 janvier 2010 abonné·es

La Révision générale des politiques publiques est un projet politique et social d’envergure imposé par la haute administration du ministère de l’Économie, petite élite sûre de sa mission historique et ivre de sa puissance. Cette élite fait converger deux courants idéologiques : les rationalisateurs de l’État et les néolibéraux. Les premiers portent au sein de l’appareil d’État, depuis le début des années 1960, une logique de rationalisation technique et administrative. Les seconds ont conquis l’hégémonie dans les années 1980 et cherchent avant tout à réduire les dépenses publiques. La RGPP s’appuie sur un discours habile centré sur l’efficacité et l’efficience de l’État. Officiellement, elle part d’une description de ce que l’État fait (l’existant), le compare à ce qu’il devrait faire (la demande sociale des administrés), évalue l’écart entre les deux et décide comment le réduire. L’objectif est de dépenser moins tout en améliorant les services rendus. Comment contester raisonnablement une démarche aussi rationnelle ?

En réalité, la description de « l’existant » et l’évaluation de la « demande sociale » sont faites… dans les bureaux vitrés et climatisés de Bercy, par un petit commando où se mêlent de façon inédite hauts fonctionnaires et consultants de cabinets de conseil privés. Le ministre du Budget et de la Fonction publique, Éric Woerth, est lui-même un ancien dirigeant du cabinet Arthur Andersen, tout comme la ministre de l’Économie, Christine Lagarde, vient d’un cabinet d’avocats d’affaires nord-américain. En quelques mois, pas moins de 332 décisions de réorganisation touchant l’ensemble des ministères et des services de l’État ont été prises en petit comité et annoncées à l’été 2008 par un « Conseil de la modernisation des politiques publiques » présidé par Sarkozy. L’objectif affiché est de faire « mieux » avec « moins », mais c’est le « moins » qui domine clairement, avec la règle, tout à fait structurante, de non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux.

Au-delà d’un programme de réduction sans précédent des dépenses de l’État, ce qui frappe est le caractère militaire de l’opération. La RGPP déboule partout comme un rouleau compresseur. Les hauts fonctionnaires des ministères, sous pression, doivent imposer les restructurations à marche forcée aux organisations syndicales et aux agents. On regroupe les services, on mutualise les fonctions supports, on externalise tout ce qui peut être externalisé, on réduit la taille des bureaux.

Derrière la compression des coûts, et en prolongement
de la loi de finances (qui impose depuis 2006 un pilotage « à la soviétique » des services en fonction d’objectifs quantifiés),
il s’agit d’imposer partout la « rationalité » managériale, de casser les cultures professionnelles des agents, de briser les collectifs
de travail et leurs valeurs de service public. Au nom des exigences du contribuable et du citoyen, omniprésents dans les discours officiels mais jamais consultés, la RGPP est une machine à broyer l’emploi, l’esprit du service public et la démocratie.
Aux agents de l’État et aux citoyens de créer ensemble les convergences et les mobilisations pour imposer une réforme radicalement démocratique de la Fonction publique, de la base au sommet.

Publié dans le dossier
Services publics : le coup de grâce ?
Temps de lecture : 3 minutes