Le peuple haïtien doit être souverain

Pauline Imbach et Claude Quemar, du Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde, expliquent pourquoi la dette qui frappe Haïti est illégitime, et doit donc être levée.

Pauline Imbach  et  Claude Quemar  • 28 janvier 2010 abonné·es

Les promesses d’aide d’urgence et de reconstruction affluent pour secourir Haïti après le tremblement de terre. Comme en 2004, au moment du cyclone Jeanne, les images de la catastrophe provoquent une réaction empreinte à la fois d’infini respect pour les victimes, de solidarité pour les survivants meurtris et de colère devant l’absence de réponses à la hauteur des événements. Si l’aide d’urgence est indispensable, il est important de revenir sur les enjeux réels, rendus flous par le déferlement médiatique privilégiant l’émotion, le spectacle, le caritatif. La situation de pauvreté d’Haïti est loin d’être issue d’une catastrophe naturelle. Elle résulte de la mise en place méticuleuse d’un système de domination néocoloniale, imposé depuis deux ­siècles par les États-Unis, la France et les institutions financières internationales (IFI).

L’État haïtien s’est construit dès le départ sur des ruines, celles imposées par une dette illégitime, puissant instrument de domination impérialiste. En 1804, Haïti conquiert son indépendance à travers une double révolution anti-esclavagiste et anticoloniale, et devient la première république noire au monde. La France refusant de céder ses intérêts impose au peuple une rançon colossale de 150 millions de francs or (21 milliards de dollars d’aujourd’hui). En 2004, Régis Debray écarte la restitution de ces fonds prétextant qu’elle ne serait pas « fondée juridiquement » et que cela ouvrirait la « boîte de Pandore »  [^2]. La dette continue alors de frapper Haïti pour atteindre, sous Duvalier, 750 millions de dollars en 1986, alors que la fortune du dictateur est estimée à 900 millions de dollars [^3]. Avec le jeu des intérêts, des pénalités et de nouveaux prêts, la dette odieuse [^4] haïtienne dépasse 1 884 millions de dollars en 2008. Selon la Banque mondiale, entre 1995 et 2001, le service de la dette (le capital et les intérêts remboursés) a atteint 321 millions de dollars. Aujourd’hui, plus de 80 % de la dette extérieure d’Haïti est détenue par la Banque mondiale et la Banque interaméricaine de développement (BID).
Les IFI imposent au gouvernement haïtien des politiques directement responsables de la pauvreté, en particulier via l’initiative « pays pauvres très endettés » (PPTE). Plans d’ajustements structurels (PAS), zones franches, privatisations, accords de partenariat économique (APE) signés fin 2009 sont les fléaux contre lesquels les Haïtiens se battent depuis des années.

L’année 2009 a été marquée par les luttes convergentes de nombreux secteurs de la société autour de la revendication de l’augmentation du salaire minimum. Cette question touchait le cœur même de la stratégie de domination et a permis de révéler le vrai visage de la Minustah (Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti). Cette instance, qui prétend avoir pacifié le pays, a imposé des politiques de réorganisation économique. Depuis 2006, des accords spéciaux [^5] ont été signés entre les États haïtien, états-unien et brésilien, permettant, par exemple, l’entrée sans droits de douane sur le territoire états-unien de produits textiles fabriqués en Haïti. Ces mesures, vantées comme créatrices d’emplois, plongent les travailleurs haïtiens dans des conditions que leurs ancêtres avaient abolies il y a plus de deux cents ans.

Dans le même cadre, on assiste à la mise en place d’une politique agricole mortifère tournée vers la production ­d’agro­carburants, cœur de la stratégie énergétique caribéenne défendue par Bush et Lula. Près d’un quart du territoire haïtien est voué à la production du jatropha – produisant une huile aux propriétés comparables à celles du diesel –, qui concurrence directement les cultures vivrières, alors qu’Haïti a connu en 2008 de graves crises alimentaires. Aujourd’hui, Haïti importe 80 % de son riz, alors qu’il y a moins de vingt ans elle était autosuffisante. En 1995, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international ont réduit de 50 % à 3 % les taxes sur le riz importé. Le riz subventionné et produit par les États-Unis a inondé le marché haïtien. Peu élevé dans un premier temps, son prix a suivi les cours mondiaux, qui ont doublé, privant la population de cette denrée et provoquant de graves famines.

La catastrophe qui touche Haïti s’appelle avant tout le capitalisme. Le peuple haïtien doit récupérer sa souveraineté, voilà l’enjeu fondamental. Il doit exiger réparation : non seulement l’annulation de la dette extérieure, mais le remboursement des sommes indûment ponctionnées par les IFI, et la mise en place d’un fonds correspondant à la rançon payée à la France, afin que soient menés des projets de reconstruction. Ces mesures devront s’accompagner de la mise en place d’un nouveau modèle de développement endogène, en rupture avec celui imposé par les IFI, et dont les Haïtiens détiendraient les clés.

[^2]: « Haïti : au-delà des effets d’annonce », Éric Toussaint et Sophie Perchellet, le Monde, 20 janvier 2010.)

[^3]: Notons que la France a offert le statut de réfugié politique et l’immunité à Jean-Claude Duvalier. La justice suisse a restitué à l’État haïtien 6 millions de dollars de biens mal acquis par Duvalier.

[^4]: Doctrine de droit international, c’est une dette contractée par un régime despotique et utilisée contre les intérêts de la population.

[^5]: Hope I (Loi hémisphérique haïtienne d’opportunités à travers l’encouragement au partenariat) a été votée en décembre 2006 et Hope II en octobre 2008.

Publié dans le dossier
Haïti : effacer la dette
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